Sépulcre
Isolde en voyant la jeune fille rougir jusqu’aux oreilles.
— Non, non, s’empressa de dire Léonie par crainte de paraître naïve et empotée, même si le peu qu’elle savait de l’amour romantique venait exclusivement de ses lectures. Pas le moins du monde. C’est juste que… vous m’avez prise un peu au dépourvu.
— Alors ? dit Isolde en se tournant vers elle. Avez-vous quelque soupirant ?
À sa grande surprise, Léonie éprouva un regret fugitif en constatant qu’elle n’en avait point. Bien sûr, elle avait imaginé des idylles, mais c’était en rêvant de personnages rencontrés dans les livres, de héros aperçus sur une scène de théâtre et à l’opéra, auréolés d’amour et de gloire. Jamais encore ses rêveries ne s’étaient attachées à quelqu’un de bien vivant.
— Ce genre de choses ne m’intéresse pas, déclara-t-elle d’un ton péremptoire. Si vous voulez vraiment savoir ce que j’en pense, pour moi, le mariage est une forme de servitude.
Isolde dissimula un sourire.
— Autrefois, il l’était sans doute, mais à notre époque moderne ? À votre âge, toutes les jeunes filles rêvent d’amour.
— Eh bien, pas moi. J’ai trop vu pour maman ce que…
Elle s’interrompit en se rappelant les scènes, les larmes, les jours où l’argent manquait même pour acheter le strict nécessaire, les hommes qui défilaient chez eux…
Soudain le visage serein d’Isolde s’assombrit.
— Marguerite a connu des moments difficiles. Elle a fait ce qu’elle pouvait pour vous mettre vous et Anatole à l’abri du besoin. Vous ne devriez pas la juger trop sévèrement.
— Je ne la juge pas, répliqua Léonie, piquée au vif. C’est juste que… je n’ai pas envie de mener ce genre de vie.
— L’amour, le véritable amour, est une chose infiniment précieuse, Léonie, continua Isolde. Il est douloureux, inconfortable, il nous fait faire des folies, mais c’est lui qui donne couleur et sens à l’existence. Oui, l’amour est la seule chose qui puisse nous tirer de notre morne condition pour nous amener à une dimension plus haute, plus sublime.
Léonie lui jeta un coup d’œil, puis baissa la tête en regardant ses pieds.
— Il n’y a pas que maman, dit-elle. J’ai pu constater combien Anatole avait souffert ! Cela a sans doute influencé ma vision des choses.
Sentant sur elle le regard pénétrant d’Isolde, Léonie garda la tête baissée.
— Il a aimé une femme, qui est morte en mars dernier, confia-t-elle. J’ignore la cause exacte de sa mort, mais je sais qu’elle s’est produite en de pénibles circonstances.
La gorge nouée, Léonie s’interrompit pour jeter un coup d’œil à sa tante, puis détourna le regard.
— Les mois qui ont suivi, reprit-elle, maman et moi nous sommes beaucoup inquiétées pour Anatole. C’était un homme brisé, à bout de nerfs. À tel point qu’il s’est réfugié dans des occupations… malsaines. Il passait des nuits entières dehors et…
Isolde pressa le bras de Léonie.
— Les hommes cherchent à se distraire par des moyens qui nous semblent peu recommandables. Mais vous ne devriez pas prendre ce genre de choses au tragique, ni en déduire qu’elles sont les symptômes d’un malaise plus profond.
— Vous ne l’avez pas vu ! s’écria-t-elle. Il n’était plus lui-même, comme perdu.
— Votre affection pour votre frère vous honore, Léonie, dit Isolde, mais il serait peut-être temps de vous faire moins de souci pour lui. Quelle que soit la situation, il paraît en bonne forme, à présent. Ne trouvez-vous pas ?
— J’admets qu’il va beaucoup mieux depuis quelque temps, reconnut Léonie, réticente.
— Bien. Le moment est venu de penser davantage à vous et à ce qui peut vous faire du bien. D’ailleurs, si vous avez accepté mon invitation, c’est parce que vous aviez besoin de repos. N’est-ce pas ?
Léonie hocha la tête.
— Maintenant que vous êtes là, oubliez un peu Anatole. Il est en sécurité.
Léonie songea à leur fuite précipitée de Paris, à la promesse qu’elle lui avait faite de l’aider, au sentiment de menace qui planait sur eux, à la cicatrice qui lui barrait l’arcade sourcilière, rappel constant du danger qu’il avait affronté. Alors, en un instant, ce fut comme si un lourd fardeau lui était enlevé.
— Il est en sécurité, répéta Isolde. Et vous aussi.
Elles se trouvaient à présent de l’autre côté du lac que
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