Sépulcre
soit la raison de leur départ précipité, Isolde, était malade. De toute évidence, elle avait besoin de se retrouver au chaud, dans le confort de sa maison.
Si Anatole m’en avait prévenue, je n’aurais pas rechigné à partir, songea Léonie.
Soudain tout son ressentiment ressurgit. Comment avait-il pu la laisser se fourvoyer ? C’était impardonnable. À cause de lui, ils s’étaient disputés. Il eut dès lors tous les torts à ses yeux, et elle, aucun. Aussi, persuadée d’être dans son bon droit, elle prit un air excédé, bouda, et resta les yeux obstinément fixés sur la fenêtre du compartiment.
Mais quand elle jeta un coup d’œil à Anatole pour voir s’il s’en rendait compte, elle vit combien il s’inquiétait pour Isolde, et oubliant leur vaine querelle, elle se mit à se faire du souci pour la santé de sa tante.
Il y eut un coup de sifflet. Un gros nuage de vapeur s’échappa dans l’air venteux chargé d’humidité. Et le train s’ébranla.
Quelques minutes plus tard, l’inspecteur Thouron descendait du train en provenance de Marseille sur le quai d’en face, accompagné de deux officiers de police parisiens, avec deux heures de retard sur l’horaire prévu. En effet, un glissement de terrain provoqué par les trombes d’eau avait obstrué la voie à la sortie de Béziers, et il avait fallu la dégager.
Thouron fut accueilli par l’inspecteur Bouchou, de la gendarmerie de Carcassonne. Les deux hommes échangèrent une poignée de main. Puis, refermant sur eux leurs manteaux dont les pans claquaient au vent et enfonçant leurs chapeaux sur leurs têtes, ils progressèrent tant bien que mal, courbés sous les bourrasques qui leur venaient en pleine face.
Le passage souterrain qui reliait l’un des quais à l’autre étant inondé, le chef de gare attendait de faire sortir les passagers par un petit portail latéral qui donnait sur la rue. Il cramponnait la chaîne de peur qu’elle ne cède et que la grille ne s’arrache de ses gonds.
— Content de vous rencontrer, Bouchou, dit Thouron, fatigué et de fort méchante humeur, après son voyage long et inconfortable.
Bouchou était un homme corpulent au teint rougeaud, proche de l’âge de la retraite, avec le teint mat et le corps râblé que Thouron associait aux hommes du Midi. À première vue, il avait l’air plutôt affable, et Thouron, qui craignait que des gens du Nord, pire, des Parisiens comme lui et ses hommes, soient mal considérés par les Méridionaux, oublia ses appréhensions.
— Ravi de pouvoir vous aider, lui cria Bouchou par-dessus les rafales de vent. Même si, je vous l’avoue, je suis passablement intrigué de voir quelqu’un de votre position se déplacer en personne. Est-ce juste afin de retrouver Vernier pour l’informer du meurtre de sa mère ? Ou bien y a-t-il autre chose ? ajouta-t-il en dévisageant Thouron avec une certaine malice.
— Allons nous abriter de ce vent et je vous dirai tout.
Dix minutes plus tard, ils étaient installés dans un petit café tout près du palais de justice, où ils pourraient parler sans crainte d’être entendus par des oreilles indiscrètes. La plupart des clients étaient des collègues de la gendarmerie ou appartenaient au personnel de la prison.
Bouchou commanda deux verres d’une liqueur de la région appelée La Micheline, puis il rapprocha sa chaise pour mieux écouter. Thouron trouva la liqueur un peu trop douceâtre à son goût, mais il la sirota avec gratitude, tout en expliquant les dessous de l’affaire.
Marguerite Vernier, veuve d’un communard, plus récemment maîtresse d’un héros de guerre fort influent et couvert de médailles , avait été retrouvée morte assassinée au domicile familial le soir du dimanche 20 septembre. Depuis, un mois avait passé et on n’avait retrouvé ni son fils ni sa fille pour les informer de ce décès.
À vrai dire, même s’il n’y avait aucune raison de considérer Vernier comme suspect, on avait découvert un certain nombre de détails pour le moins intrigants. Par exemple, le fait que le frère et la sœur avaient délibérément dissimulé leurs allées et venues pour induire en erreur d’éventuels poursuivants. Ainsi les hommes de Thouron avaient-ils mis du temps avant de se rendre compte que les Vernier étaient partis pour le sud depuis la gare de Lyon, et non pour l’ouest ou le nord depuis la gare Saint-Lazare, comme on l’avait cru.
— Et si l’un de mes hommes
Weitere Kostenlose Bücher