Sépulcre
tarot.
Que savait-elle au juste ?
Julian s’aperçut que le bruit entêtant qu’il entendait était celui de ses doigts tambourinant sur le bureau. Il regarda sa main comme si elle ne lui appartenait pas, puis s’obligea à la tenir immobile.
Dans un tiroir verrouillé de son secrétaire, les actes de transfert de propriété attendaient, prêts à être signés et renvoyés au notaire Espéraza. Hal n’était pas stupide, il n’avait pas envie de rester au Domaine de la Cade. Et ils ne pourraient jamais travailler comme associés, pas plus que Seymour et lui n’en avaient été capables. Julian avait observé un délai convenable avant de faire part à Hal de ses projets.
— Ce n’est pas ma faute, murmura-t-il d’une voix pâteuse.
Il faudrait reparler à cette Américaine. Elle savait quelque chose à propos du jeu de cartes original, sinon, pourquoi serait-elle ici ? Sa présence n’avait rien à voir avec l’accident de Seymour, son neveu ou les finances de l’hôtel, Julian l’avait compris. Elle était ici pour la même raison que lui. Et il ne s’était pas tapé tout le sale boulot pour qu’une fichue Amerloque se pointe la bouche en cœur et cueille le fruit de ses efforts en trouvant les cartes avant lui.
Son regard alla vers les bois. La nuit était tombée. Julian tendit la main pour allumer la lampe de bureau. Il poussa un hurlement.
Son frère était là, debout, juste derrière lui. Le teint cireux, le visage creux, couvert d’entailles à cause de l’accident, les yeux morts, injectés de sang, tel que Julian l’avait vu à la morgue.
Il bondit de son fauteuil qui bascula en arrière. Le verre de whisky valsa sur le bois poli du bureau et se renversa.
Julian fit volte-face.
Personne.
Pétrifié, il scruta la pièce du regard, fouilla dans les coins sombres, revint à la fenêtre. Alors il comprit. C’était son propre reflet qu’il avait vu sur la vitre sombre. Les yeux éteints, le teint blafard étaient les siens.
Il inspira profondément.
Son frère était mort et enterré. Il l’avait drogué en mélangeant du Rufenol au contenu de son verre. Puis il avait conduit la voiture jusqu’au pont, à la sortie de Rennes-les-Bains, installé péniblement Seymour au volant, desserré le frein à main. Et il avait vu la voiture basculer dans le vide.
— Tu m’y as obligé, marmonna-t-il.
Son regard alla à nouveau vers la fenêtre. Il cligna des yeux. Rien.
Il expira longuement, puis se pencha pour relever le fauteuil. Un instant, il resta cramponné au dos du siège, si fort que les jointures de ses mains devinrent blanches. Un filet de sueur dégoulina le long de son dos, entre ses omoplates.
Puis il se reprit, chercha nerveusement ses cigarettes, et projeta son regard vers l’obscurité des bois.
Les cartes originales sont là, à portée de ma main, j’en suis certain, pensa-t-il.
— La prochaine fois, murmura-t-il.
Oui, la prochaine fois, la chance lui sourirait. Il le savait.
Le whisky renversé atteignit le bord du bureau et s’écoula lentement sur le tapis.
65.
— Raconte-moi ce qui s’est passé, dit Meredith.
Hal s’accouda à la table.
— En bref, la police ne voit aucun motif sérieux de rouvrir l’enquête et se contente des conclusions établies.
— Lesquelles sont ?
— Mort accidentelle. Et le commissaire affirme que papa avait bu, ajouta-t-il d’un ton rogue, qu’il a perdu la maîtrise de son véhicule et a basculé par dessus le pont pour tomber dans la Salz. D’après le rapport toxicologique, son taux d’alcoolémie était trois fois plus élevé que le maximum légal.
Ils étaient assis près d’une fenêtre, dans un renfoncement du mur formant une alcôve. Il était encore tôt, la salle du restaurant était presque vide, aussi pouvaient-ils discuter sans crainte d’être entendus. Sur la nappe en lin blanc, à la lueur tremblotante de la bougie, Meredith posa sa main sur celle de Hal.
— Apparemment, il y a un témoin, reprit-il. Une Anglaise, une certaine Shelagh O’Donnell, qui habite dans le coin.
— C’est plutôt positif, non ? Est-ce qu’elle a vu l’accident ?
— Non, c’est bien là le problème. D’après le dossier, elle a juste entendu quelqu’un freiner brusquement, mais elle n’a rien vu.
— Est-elle venue le rapporter au poste de police ?
— Pas tout de suite. Selon le commissaire, beaucoup de conducteurs amorcent trop vite le virage qui précède l’entrée dans
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