Sépulcre
tenterai de vous le trouver.
Isolde sourit.
— Tout a un goût tellement bizarre.
— Vous devez manger, dit-il fermement. Vous devez retrouver vos forces car…
Il se tut brusquement. Léonie remarqua le regard qu’ils échangeaient et se demanda une fois de plus ce qu’il s’apprêtait à dire.
— Je peux aller à Rennes-les-Bains demain et acheter tout ce que vous voulez, reprit-il.
Léonie eut soudain une idée.
— Je pourrais y aller, moi, leur proposa-t-elle en affectant un ton dégagé. On a besoin de toi ici, Anatole, et je serais ravie d’aller en ville.
Elle se tourna vers Isolde.
— Je connais bien vos goûts, ma tante. Si vous pouvez vous passer du cabriolet demain matin, Pascal peut me conduire en ville. (Elle se tut un instant.) Je pourrais rapporter une boîte de gingembre cristallisé des Magasins Bousquet.
Ravie et excitée, Léonie remarqua qu’une lueur d’intérêt traversait les yeux gris clair d’Isolde.
— Je l’avoue, je crois que je pourrais manger cela…
— Et peut-être aussi, ajouta Léonie en révisant rapidement la liste des friandises préférées d’Isolde, pourrais-je passer chez le pâtissier pour acheter une boîte de jésuites ?
Léonie détestait ces lourds gâteaux à la crème, mais elle savait qu’Isolde en était friande.
— Ce serait peut-être une nourriture un peu riche pour moi en ce moment, remarqua Isolde en souriant, mais j’aurais assez envie de leurs biscuits au poivre noir.
Anatole lui souriait en hochant la tête.
— Très bien, dit-il, alors c’est réglé. (Il couvrit la main de Léonie de la sienne.) Je serais ravi de t’accompagner si tu le souhaites.
— Il n’en est pas question. Ce sera une aventure. Je suis certaine que tu as beaucoup à faire ici.
Il jeta un coup d’œil à Isolde.
— C’est vrai, acquiesça-t-il. Eh bien, si tu en es vraiment sûre, Léonie.
— J’en suis sûre. Je partirai à 10 heures, afin d’être rentrée à temps pour le déjeuner. Je vais faire une liste.
— Vous êtes très gentille de vous donner tout ce mal pour moi, dit Isolde.
— C’est avec plaisir, répondit Léonie sincèrement.
Elle avait réussi. À condition qu’elle puisse s’éclipser au cours de la matinée pour passer au bureau de poste à l’insu de Pascal, elle pourrait se rassurer quant aux intentions de M. Constant à son égard.
Quand Léonie se retira en fin de soirée, elle rêva au plaisir d’avoir une lettre de lui, au contenu d’un billet doux, aux sentiments qu’il pourrait exprimer.
D’ailleurs, quand elle finit par s’endormir, elle avait déjà rédigé cent fois dans son esprit une réponse éloquente aux expressions d’affection et d’estime élégamment formulées par M. Constant.
La matinée du mardi 29 octobre était resplendissante.
Le Domaine de la Cade baignait dans une douce lumière cuivrée, sous un ciel bleu infini ponctué çà et là de nuages blancs et dodus. Il faisait doux. Les jours d’orage étaient passés, cédant la place aux brises de l’été indien.
À 9 h 45, Léonie descendait du cabriolet sur la place du Pérou, vêtue pour la circonstance de sa robe écarlate préférée, avec une veste et un chapeau assortis. Sa liste de courses à la main, elle entra dans toutes les boutiques de la grand-rue. Pascal, qui l’accompagnait, portait les emplettes faites aux Magasins Bousquet, chez les Frères Marcel Pâtisserie et Chocolaterie, à la boulangerie et à la mercerie, où elle avait acheté du fil. Elle s’arrêta pour boire un sirop de grenadine dans le café de la petite rue adjacente à la Maison Gravère, là où Anatole et elle avaient pris le café le jour de leur arrivée, et se sentit tout à fait chez elle.
D’ailleurs, Léonie avait l’impression d’appartenir à cette ville, et qu’elle lui appartenait. Bien qu’une ou deux personnes qu’elle connaissait vaguement aient semblé lui battre froid – les femmes avaient détourné les yeux et leurs maris avaient à peine soulevé leur chapeau en la croisant – Léonie ne voyait pas en quoi elle avait pu les offenser. Bien qu’elle se considérât comme une vraie Parisienne, elle se sentait plus vivante, plus énergique dans le paysage boisé des montagnes et des lacs de l’Aude qu’elle ne l’avait jamais été en ville.
Désormais, le souvenir des rues sales et de la suie du 8 e arrondissement – et des limites imposées à sa liberté – la consternait. Si
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