Sépulcre
d’un pigeon ramier. Au loin, elle entendait des coups de fusil et se demanda si c’était Charles Denarnaud qui avait pressé la détente.
Pressant le pas, Léonie atteignit bientôt les limites du Domaine de la Cade. Quand elle en aperçut le portail, une bouffée de soulagement l’envahit. Elle s’y précipita en s’attendant à voir la bonne surgir avec les clés.
— Marieta ?
Seul l’écho de sa voix lui répondit. À la profondeur du silence, Léonie sut qu’il n’y avait personne. Elle fronça les sourcils. Cela ne ressemblait pas à Pascal de manquer à sa parole. Et bien que Marieta fut facilement décontenancée, en général on pouvait compter sur elle.
Ou alors, elle est venue et elle a renoncé à m’attendre ? se dit-elle.
Léonie secoua les battants du portail. Ils étaient verrouillés. Furieuse, puis frustrée, elle resta un moment plantée sur place, les poings sur les hanches, à considérer la situation.
Elle n’avait aucune envie de contourner le domaine pour atteindre l’entrée principale. Ses expériences de la matinée et sa longue marche à flanc de colline l’avaient épuisée.
Il devait y avoir un autre moyen de pénétrer dans le parc.
Léonie doutait que les rares domestiques employés par Isolde puissent entretenir parfaitement un domaine aussi vaste. Menue comme elle était, en cherchant bien, elle trouverait une ouverture assez large pour s’y glisser. De là, il lui serait facile de regagner le sentier.
Elle regarda à droite, puis à gauche, en se demandant de quel côté se diriger. Finalement, elle décida que les parties du domaine les moins bien entretenues étaient sans doute celles qui étaient les plus éloignées de la maison et partit vers l’est. Au pire, elle suivrait simplement les limites de la propriété jusqu’à en avoir fait le tour.
Elle marcha rapidement en scrutant la haie, écartant les bruyères tout en évitant l’enchevêtrement vicieux des ronces, recherchant une faille quelconque dans la clôture en fer forgé. Aux environs immédiats du portail elle ne présentait aucune faiblesse, mais Léonie se rappelait que, lors de leur arrivée au Domaine de la Cade, l’impression de délabrement et d’abandon s’était intensifiée au fur et à mesure qu’elle avançait.
Elle cherchait depuis cinq minutes à peine lorsqu’elle repéra un endroit où la clôture bâillait. Elle retira son chapeau, s’accroupit et, inspirant profondément, se glissa, soulagée, par l’étroite ouverture. Une fois passée, elle retira les épines et les feuilles de sa veste, brossa l’ourlet de sa jupe pour nettoyer la boue, puis poursuivit son chemin avec une énergie renouvelée, ravie d’arriver bientôt à destination.
Le sentier se fit plus escarpé, la voûte des arbres plus sombre et oppressante. Léonie comprit très vite qu’elle se trouvait de l’autre côté du bois de hêtres et que, si elle n’y prenait pas garde, ses pas la mèneraient au sépulcre. Elle fronça les sourcils. Y avait-il un autre chemin ?
Il y avait un chassé-croisé de petites pistes, plutôt qu’une seule bien nette. Toutes les clairières et tous les taillis se ressemblaient. Pour s’orienter Léonie n’avait que le soleil qui brillait au-dessus de la voûte de feuillage, mais elle ne pouvait s’y fier dans les zones d’ombre. Cependant, à condition de marcher droit devant elle, elle finirait bien vite par atteindre la pelouse et la maison. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’elle éviterait le sépulcre.
Elle gravit la pente en suivant un vague sentier qui déboucha sur une petite clairière. Soudain, par une éclaircie entre les arbres, elle aperçut un petit bois sur la rive opposée de l’Aude, où se dressait le groupe de mégalithes que Pascal lui avait désigné. Elle éprouva un choc en comprenant que tous les lieux diaboliques des environs étaient visibles depuis le Domaine de la Cade : le Fauteuil du Diable, l’Étang du Diable, la Montagne des Cornes. Elle scruta l’horizon. On apercevait aussi l’endroit où se rejoignaient les rivières de la Blanque et de la Salz, surnommé le Bénitier, lui avait dit Pascal.
Léonie chassa de son esprit l’image du corps contorsionné du démon et de ses yeux bleus malveillants. Elle pressa le pas, marchant à longues enjambées sur le terrain accidenté, en se disant qu’il était absurde de se laisser troubler par une statue ou par l’illustration d’un livre.
La colline montait en
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