Sépulcre
voulez-vous dire par là, monsieur Baillard ? C’est parce que le mois de novembre approche ?
Mais manifestement, il n’avait pas l’intention d’en dire plus. Léonie tapa du pied. Elle avait tant de questions à lui poser. Elle s’apprêtait à parler, quand il la devança.
— Il suffit, dit-il.
Par la fenêtre ouverte, le carillon de la minuscule église de Saint-Celse et Saint-Nazaire sonna midi sur une seule note grêle, marquant la fin de la matinée.
Ce son rappela Léonie au temps présent. Elle avait complètement oublié sa mission. Elle bondit.
— Pardonnez-moi, monsieur Baillard. J’ai assez abusé de votre temps. (Elle enfila ses gants.) Et ce faisant, j’ai complètement oublié mes responsabilités. Le bureau de poste… Si je me dépêche, je peux encore…
Attrapant son chapeau, Léonie courut jusqu’à la porte. Audric Baillard se leva, silhouette élégante et intemporelle.
— Puis-je vous rendre à nouveau visite, monsieur ?
— Bien sûr, madomaisèla. Tout le plaisir sera pour moi.
Léonie agita la main, sortit de la pièce, dévala le couloir et se retrouva dans la rue, laissant Audric Baillard seul dans la pièce silencieuse, plongé dans ses réflexions. Le petit garçon surgit de l’ombre et referma la porte derrière elle.
Baillard se rassit.
— Si es atal es atal ! marmonna-t-il. Les choses seront ce qu’elles seront. Mais pour cette enfant, j’aimerais qu’il n’en soit pas ainsi.
73.
Léonie parcourut la rue de l’Hermite au pas de course, tout en tirant ses gants sur ses poignets et en se débattant avec les boutons. Elle prit à droite et parvint au bureau de poste.
La double porte en bois était fermée et verrouillée. Mais il devait bien y avoir quelqu’un à l’intérieur ?
— Il y a quelqu’un ? C’est vraiment important !
Aucun signe de vie. Elle frappa et appela à nouveau, mais personne ne se manifesta. Une femme revêche, coiffée de deux tresses grises, se pencha à la fenêtre d’en face et lui cria d’arrêter de cogner.
Léonie s’excusa. C’était idiot d’attirer ainsi l’attention. Si une lettre de M. Constant l’attendait, elle était destinée à rester là pour l’instant. Impossible de demeurer à Rennes-les-Bains jusqu’à ce que le bureau de poste rouvre, plus tard dans l’après-midi. Il faudrait simplement qu’elle trouve une nouvelle occasion de se rendre en ville.
Elle éprouvait des émotions confuses. Elle s’en voulait de ne pas avoir accompli sa mission. En même temps, elle avait le sentiment qu’on lui avait accordé un sursis.
Au moins, je ne sais pas que M. Constant n’a pas écrit, songea-t-elle.
Ce raisonnement embrouillé, étrangement, la réconforta.
Léonie descendit vers la rivière. À gauche, les patients de la station thermale étaient assis dans l’eau ferrugineuse. Derrière eux, une rangée d’infirmières en uniforme blanc, leurs grandes coiffes perchées sur leurs têtes comme des oiseaux de mer géants, attendaient patiemment que leurs patients émergent.
Elle passa sur l’autre berge et retrouva assez facilement le sentier qu’ils avaient emprunté avec Marieta. La forêt avait changé d’aspect. Certains arbres avaient perdu leurs feuilles, soit à cause de l’approche de l’automne, soit suite à la férocité des orages qui s’étaient abattus sur les collines. Sous les pieds de Léonie, le sol était tapissé de feuilles couleur lie de vin, dorées, rouges et cuivrées. Elle s’arrêta un instant, en songeant aux aquarelles auxquelles elle travaillait. L’image du Mat lui vint à l’esprit et elle se dit qu’elle changerait peut-être les couleurs du fond pour les accorder aux nuances automnales de la forêt.
Elle reprit son chemin sous la voûte verte des pins. Brindilles, branches cassées et cailloux craquaient sous ses pieds. Le sol était jonché de pommes de pin et de châtaignes. Soudain, Paris lui manqua. Elle songea à sa mère qui, en octobre, l’emmenait avec Anatole au parc Monceau pour ramasser les châtaignes. Elle se frotta les doigts en se rappelant les sensations et les textures des automnes de son enfance.
Rennes-les-Bains était hors de vue. Léonie pressa le pas ; elle savait que la ville restait à portée de voix, mais se sentait malgré cela coupée de la civilisation. Un oiseau qui s’envola dans un grand bruissement d’ailes la fit sursauter. Elle eut un petit rire nerveux en comprenant qu’il ne s’agissait que
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