Sépulcre
rouge à glands et assis sur un trône au sommet d’un belvédère en pierre, la dévisageait. Elle crut reconnaître les montagnes, à l’horizon. Elle lut l’inscription : le Roi des Pentacles.
Elle examina plus attentivement l’image car le visage du Roi lui était familier. Puis elle comprit. C’était celui du prêtre auquel son oncle avait fait appel pour bannir le démon du sépulcre et qui l’avait supplié de détruire le jeu de cartes. Béranger Saunière.
C’était la preuve indéniable que son oncle, comme le lui avait affirmé M. Baillard une demi-heure à peine auparavant, n’avait pas suivi ses conseils.
— Madomaisèla ? Madomaisèla Léonie ?
Léonie se retourna vivement, alarmée d’entendre qu’on l’appelait.
— Madomaisèla ?
C’étaient Pascal et Marieta. Manifestement, se dit Léonie, elle était absente depuis si longtemps qu’ils étaient partis à sa recherche. Elle remballa rapidement les cartes. Elle voulait les emporter, mais elle n’avait aucun endroit où les cacher sur elle.
Avec une immense réticence, mais ne voulant pas qu’on sache ce qu’elle avait découvert, elle replaça les cartes dans le coffre-fort, puis le coffre-fort dans le coffret, qu’elle fit glisser dans le trou. Elle se releva et repoussa la terre à l’aide des semelles déjà boueuses de ses bottines. Quand elle eut presque fini, elle laissa tomber ses gants souillés et les recouvrit également.
Puisque personne, jusque-là, n’avait découvert les cartes, il était peu probable qu’on les trouvât maintenant. Elle reviendrait, la nuit, et les reprendrait discrètement.
— Madomaisèla Léonie !
Elle perçut la panique dans la voix de Marieta.
Léonie revint sur ses pas, grimpa sur la plate-forme, puis dévala le sentier en se dirigeant vers l’endroit d’où elle était venue. Elle coupa à travers bois, quittant le sentier pour qu’on ne devine pas son point de départ. Enfin, lorsqu’elle estima qu’elle était suffisamment éloignée du trésor, elle s’arrêta, reprit son souffle et appela :
— Je suis ici ! s’écria-t-elle. Marieta ! Pascal ! Par ici !
Quelques instants plus tard, ils surgirent d’une clairière visiblement soucieux. Marieta s’arrêta tout net, incapable de dissimuler l’étonnement et l’inquiétude que lui causait l’état des vêtements de Léonie.
— J’ai perdu mes gants, mentit-elle spontanément. J’ai été obligée de revenir sur mes pas pour les chercher.
Marieta la scruta d’un œil inquisiteur.
— Et vous les avez retrouvés, madomaisèla ?
— Hélas non.
— Vos vêtements…
Léonie regarda ses bottes boueuses, ses jupons tachés, ses jupes maculées de boue et de lichens.
— J’ai fait un faux pas et j’ai glissé sur le sol humide, c’est tout.
Manifestement Marieta avait des doutes, mais elle préféra tenir sa langue. Ils rentrèrent à la maison en silence.
74.
Léonie eut à peine le temps de brosser ses ongles terreux et de se changer avant que sonne la cloche du déjeuner.
Isolde les rejoignit dans la salle à manger. Elle était ravie des emplettes que Léonie lui avait rapportées de la ville et réussit à avaler quelques cuillerées de soupe. Quand ils eurent terminé, elle demanda à Léonie de lui tenir compagnie. Léonie accepta bien volontiers, mais tandis qu’elles bavardaient et jouaient aux cartes, elle avait l’esprit ailleurs. Elle réfléchissait à une manière de retourner dans les bois pour récupérer les cartes. Elle cherchait aussi un prétexte pour retourner à Rennes-les-Bains.
Le reste de la journée se déroula paisiblement. Les nuages s’amoncelèrent au crépuscule et il y eut des averses dans la vallée et sur la ville, mais le Domaine de la Cade n’en fut pas affecté.
Le lendemain matin, Léonie se réveilla plus tard que d’habitude.
Quand elle sortit sur le palier, elle vit Marieta traverser le vestibule en direction de la salle à manger, portant des lettres sur un plateau. Elle n’avait aucune raison de croire que M. Constant, ayant réussi à se procurer son adresse, lui ait écrit. D’ailleurs, elle redoutait qu’il l’ait complètement oubliée. Mais parce que Léonie vivait dans un brouillard perpétuel de rêveries romantiques, elle s’imaginait aisément toutes sortes de rebondissements improbables.
Bien qu’elle n’espérât pas qu’une lettre lui fut adressée de Carcassonne, elle dévala l’escalier dans
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