Sépulcre
repaire.
Mais une réaction aussi impétueuse ne réglerait rien.
Anatole resta longtemps assis en silence dans la salle à manger. Sa cigarette se consuma entièrement et il en alluma une autre, mais il était trop abattu pour la fumer.
Il aurait besoin d’un second pour le duel, quelqu’un du coin, évidemment. Peut-être Charles Denarnaud ? Au moins, c’était un homme du monde. Anatole persuaderait Gabignaud d’assister au duel en qualité de médecin. Bien qu’il fut certain que le jeune docteur serait réticent, il ne croyait pas qu’il pût lui refuser ce service. Anatole avait été obligé de mettre Gabignaud dans la confidence de son mariage, à cause de l’état d’Isolde. Il croyait donc que le docteur accepterait, plus pour Isolde que pour lui.
Il tenta de se persuader que le duel aurait une issue favorable. Constant blessé, obligé de lui serrer la main, mettrait fin à sa vendetta. Mais il n’y parvint pas. Même s’il sortait vainqueur, il n’était absolument pas persuadé que Constant respectât les termes du combat.
Évidemment, il n’avait pas le choix : il devait relever le défi. Il était homme d’honneur, même si, cette année, ses actions n’avaient rien eu d’honorable. S’il ne se battait pas contre Constant, rien ne changerait. Isolde vivrait dans une tension insoutenable, dans l’attente perpétuelle que Constant frappe. Comme eux tous, d’ailleurs. L’appétit de persécution de cet homme, à en juger par cette lettre, semblait ne jamais devoir s’apaiser. S’il refusait de le rencontrer, Anatole savait que la campagne de Constant contre eux – contre tous leurs proches – s’intensifierait.
Au cours des jours précédents, Anatole avait entendu les domestiques parler dans l’office de bruits qui circulaient en ville sur le Domaine de la Cade. On laissait entendre que la bête qui avait tant terrorisé la région du vivant de Jules Lascombe était revenue. Anatole avait accordé peu d’importance à ces ragots. Maintenant, il soupçonnait Constant d’être à l’origine de ces rumeurs malveillantes.
Il chiffonna la feuille de papier dans son poing. Il se refusait à ce que son enfant grandisse en pensant que son père était un lâche. Il devait relever le défi. Il devait tirer pour l’emporter.
Pour tuer.
Anatole tambourina des doigts sur la table. Le courage ne lui faisait pas défaut. Mais il n’était pas bon tireur. Il était plus habile à manier l’épée ou le fleuret que le pistolet.
Anatole repoussa cette pensée. Il réglerait ce problème, avec Pascal ou peut-être grâce à l’aide de Charles Denarnaud, en temps voulu. Pour l’instant, il devait prendre des décisions plus pressantes, notamment celle de se confier ou pas à sa femme.
Anatole éteignit une autre cigarette. Isolde risquait-elle d’apprendre la nouvelle du duel ? Cela pourrait provoquer une rechute et compromettre la santé du bébé. Non, il ne pouvait rien lui dire. Il demanderait à Marieta de ne pas parler du courrier de ce matin.
Il glissa l’enveloppe adressée à Isolde par Constant, identique à la sienne, dans la poche de sa veste. Il ne pouvait espérer passer longtemps la situation sous silence, mais il pouvait préserver la tranquillité d’esprit d’Isolde pour quelques heures encore.
Si seulement il pouvait envoyer Isolde au loin. Il eut un sourire résigné, sachant qu’il n’arriverait jamais à la persuader de quitter le Domaine de la Cade sans une explication satisfaisante. Et puisque c’était précisément ce qu’il ne pouvait pas lui fournir, ces pensées ne menaient à rien.
Il était plus délicat de décider s’il devait se confier à Léonie.
Anatole comprenait désormais qu’Isolde avait raison. Son attitude envers sa petite sœur se fondait plus sur la fillette qu’elle avait été que sur la jeune femme qu’elle était devenue. Il la trouvait encore impétueuse et souvent enfantine, incapable de se maîtriser ou de tenir sa langue. Cependant, son affection indéniable pour Isolde et la sollicitude avec laquelle, depuis leur retour de Carcassonne, elle soignait sa tante jouaient en sa faveur.
Anatole avait résolu de parler à Léonie au cours du week-end précédent. Il avait eu l’intention de tout lui raconter, depuis le début de ses amours avec Isolde jusqu’à leur situation actuelle.
La maladie d’Isolde avait retardé ces aveux, mais après avoir reçu cette lettre, la conversation devenait urgente. Il
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