Sépulcre
Rennes-les-Bains ; mais cette fois, les citoyens de la ville, qui avaient connu et admiré le jeune homme, se joignirent à eux. Le D r Courrent prononça l’éloge funèbre, louant le travail de Gabignaud, sa passion et son sens du devoir.
Après les obsèques, Léonie, assommée par le chagrin et les responsabilités qui reposaient désormais sur ses frêles épaules, se retira au Domaine de la Cade et n’en sortit que rarement. La petite maisonnée se replia sur une routine sans joie, où les journées se succédaient à l’identique.
Dans les bois de hêtres dénudés, la neige tomba tôt, recouvrant les pelouses et le parc d’un manteau blanc. Le lac gelé tendait un miroir de glace aux nuages bas.
Le successeur du D r Gabignaud venait tous les jours surveiller la santé d’Isolde.
— Le pouls de M me Vernier est rapide ce soir, dit-il gravement en rangeant ses instruments dans sa trousse en cuir noir et en retirant son stéthoscope. L’intensité de son chagrin, les fatigues que lui impose sa grossesse… Si cet état persiste, je crains qu’à la longue elle ne retrouve pas toutes ses facultés mentales.
En décembre, l’hiver frappa de plein fouet. Le vent soufflait du nord par bourrasques, charriant une grêle qui criblait par vagues le toit et les fenêtres de la maison.
La vallée de l’Aude était prise dans la glace. S’ils avaient de la chance, les sans-abri étaient hébergés par leurs voisins. Les bêtes crevaient de faim dans les champs ; leurs sabots prisonniers de la boue glacée pourrissant sur place. Les rivières gelèrent. Les sentiers devinrent impraticables. Il n’y avait rien à manger, ni pour le bétail, ni pour les hommes. Dans les campagnes, la cloche du sacristain tintait à travers champs tandis que l’on portait les derniers sacrements à un mourant, sur des chemins rendus périlleux par la neige. On aurait dit que tous les êtres vivants allaient simplement, un à un, cesser d’exister. Plus de lumière, plus de chaleur ; comme des bougies qu’on aurait soufflées.
Dans l’église paroissiale de Rennes-les-Bains, le curé Boudet célébrait des messes pour les morts ; le clocher ne cessait de sonner le glas de son timbre mélancolique. À Coustaussa, le curé Gélis ouvrit les portes du presbytère aux plus démunis qui trouvèrent asile sur ses dalles froides. À Rennes-le-Château, l’abbé Saunière dénonçait dans ses sermons le mal rôdant dans les campagnes et exhortait ses ouailles à chercher leur salut au sein de la seule véritable Église.
Les domestiques du Domaine de la Cade restaient loyaux, bien qu’ils fussent troublés par les événements et par le rôle qu’ils y avaient joué. Comme Isolde ne se rétablissait pas, ils reconnurent en Léonie la maîtresse de maison. Mais Marieta s’inquiétait, car le chagrin dérobait à Léonie l’appétit et le sommeil ; elle maigrissait et pâlissait à vue d’œil. Ses yeux verts avaient perdu leur éclat. Pourtant son courage ne l’abandonnait pas. Elle avait promis à Anatole de protéger Isolde et son enfant, et elle était résolue à ne pas manquer à sa parole.
Victor Constant fut accusé du meurtre de Marguerite Vernier à Paris, du meurtre d’Anatole Vernier à Rennes-les-Bains et de la tentative de meurtre sur Isolde Vernier, veuve Lascombe. Il était également poursuivi pour l’agression d’une prostituée à Carcassonne, et soupçonné – sans qu’une enquête soit jugée nécessaire tant ces soupçons semblaient dignes de foi – d’avoir ordonné les meurtres du D r Gabignaud, de Charles Denarnaud et d’un troisième comparse, même si son doigt n’avait pas appuyé sur la détente.
La ville condamnait le mariage secret d’Anatole et d’Isolde, plutôt parce qu’il avait été précipité que parce qu’il avait uni Isolde au neveu de son premier mari. Mais il semblait qu’avec le temps, on finirait par l’accepter.
Dans l’arrière-cuisine, la pile de bûches décroissait. Isolde ne recouvrait pas ses facultés mentales, mais le bébé grandissait en elle. Dans sa chambre du premier étage, un bon feu crépitait jour et nuit. Les courtes journées réchauffaient à peine le ciel avant la tombée de la nuit.
Prisonnière de sa douleur, Isolde se tenait à la croisée des chemins entre un monde dont elle s’était temporairement absentée et la contrée inconnue qui s’étendait au-delà. Les voix qui lui tenaient compagnie lui chuchotaient que si
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