Sépulcre
n’avait guère de goût pour les distractions et les mondanités. Quant à moi, depuis sa mort, je dois dire que j’ai négligé tous mes devoirs de maîtresse de maison.
— Les gens auront certainement compati à votre situation, lui assura Anatole.
— De nombreux voisins nous ont témoigné leur sympathie, durant les dernières semaines de la vie de mon mari. Sa santé déclinait depuis quelque temps déjà. Après sa mort, il y a eu tant d’affaires à régler loin du Domaine de la Cade que j’ai dû longtemps m’absenter, sans doute plus que je n’aurais dû. Mais… si cela vous faisait plaisir, reprit-elle en souriant à Léonie pour l’inclure dans la conversation, j’avais pensé me servir du prétexte de votre visite pour donner un dîner ce samedi. Cela vous plairait-il ? Rien de grandiose, mais ce serait l’occasion de vous présenter à quelques personnes de la région.
— J’en serais ravie, s’empressa de répondre Léonie et, oubliant tout le reste, elle se mit à presser sa tante de questions.
L’après-midi s’écoula agréablement. Isolde était une hôtesse admirable, attentive, charmante, et Léonie se plut beaucoup en sa compagnie.
— Et ça, qu’est-ce que c’est ? s’enquit Léonie en montrant du doigt un plat de bonbons violets enrobés d’un glaçage blanc. Ça a l’air délicieux.
— Des perles des Pyrénées, des gouttes d’essence de schoenanthus cristallisées. L’une de vos friandises préférées, Anatole, je crois. Quant à ceux-là…, dit Isolde en désignant un autre plat, ce sont des chocolats faits maison. La cuisinière de Jules est un vrai cordon-bleu. Elle sert la famille depuis presque quarante ans.
Percevant dans sa voix un brin de mélancolie, Léonie se demanda si Isolde se sentait, comme jadis leur mère, une intruse plutôt que la châtelaine en titre du Domaine de la Cade.
— Vous travaillez dans la presse ? demanda Isolde à Anatole.
— Non, plus depuis quelque temps, répliqua Anatole. La vie de journaliste ne me convenait pas : débats internes, conflit algérien, dernière crise au sein de l’Académie des beaux-arts… je trouvais si démoralisant de devoir rendre compte d’affaires pour moi dénuées d’intérêt que j’ai fini par jeter l’éponge. À présent, j’écris encore pour La Revue blanche et La Revue contemporaine , deux périodiques un peu à part dans le monde des lettres, mais surtout je poursuis ma carrière littéraire dans une sphère moins mercantile.
— Anatole fait partie du bureau éditorial d’un magazine pour collectionneurs, éditions anciennes…, précisa Léonie.
Isolde sourit et revint à Léonie.
— Laissez-moi vous redire comme j’ai été contente que vous ayez pu accepter mon invitation. Je craignais qu’un mois à la campagne ne vous semble bien fastidieux, après les trépidations de la vie parisienne.
— À Paris on peut s’ennuyer tout autant, répondit Léonie avec grâce. Trop souvent je passe mon temps à écouter des veuves ou des vieilles filles se plaindre des tares de notre époque en évoquant avec nostalgie l’ère impériale. Je préfère encore lire !
— Léonie est une lectrice assidue, expliqua Anatole en souriant. Même si elle dévore principalement les œuvres d’auteurs à sensation ! Ce qui n’est pas du tout ma tasse de thé. Des histoires de fantômes et autres horreurs gothiques en tous genres…
— Nous avons la chance d’avoir ici une bibliothèque extrêmement bien fournie. Mon défunt mari était un fervent historien et il s’intéressait à d’autres domaines moins courus… des champs d’études plus circonscrits, dirons-nous, ajouta Isolde après avoir cherché ses mots.
Comme elle semblait encore hésiter, Léonie la scruta, intriguée, mais Isolde ne donna pas d’autres détails.
— Il y a quelques livres rares ainsi que des premières éditions dont je suis sûre qu’elles vous intéresseront, Anatole, poursuivit-elle. Également, un bon choix de romans et d’anciens numéros du Petit Journal qui risquent de vous tenter, Léonie. Je vous en prie, faites-en bon usage. Vous êtes ici chez vous.
Il était presque 19 heures. Masqué par les grands châtaigniers, le soleil avait quasiment disparu de la terrasse et les ombres allongées des arbres rayaient la pelouse, tout au bout. Isolde agita une clochette en argent posée à côté d’elle sur la table.
Marieta apparut sur-le-champ.
— Pascal est-il revenu
Weitere Kostenlose Bücher