Sépulcre
versa de l’eau fumante dans la cuvette. Elle se lava le visage et les mains, se frotta sous les bras et au creux des seins. Puis elle décrocha sa robe de chambre en cachemire bleu suspendue au dos de la porte, et s’assit à la table de toilette placée au milieu, devant l’une des trois longues fenêtres croisées.
Épingle après épingle, elle relâcha ses cheveux cuivrés qui lui tombaient jusqu’à la taille, puis inclina vers elle le miroir et se mit à leur donner de larges coups de brosse jusqu’à ce qu’ils se déroulent dans son dos comme un écheveau de soie.
Du coin de l’œil, elle vit quelque chose bouger dans les jardins en dessous.
— Anatole, murmura-t-elle, songeant que son frère avait peut-être outrepassé la requête d’Isolde qui le priait de rester dans la maison.
Chassant cette vilaine pensée de son esprit, Léonie reposa sa brosse à cheveux sur la table de toilette, se leva et la contourna pour se poster devant la fenêtre. Les derniers vestiges du jour disparaissaient. Alors que ses yeux s’accoutumaient à la pénombre, elle remarqua un autre mouvement, tout au fond des pelouses au-delà du lac, près de la haie en buis.
Cette fois, elle distingua nettement une silhouette, celle d’un homme tête nue, qui avançait furtivement en se retournant tous les deux ou trois pas pour regarder derrière lui, comme s’il craignait d’être suivi.
Jeu de lumière ? Illusion d’optique ?
La silhouette disparut dans les ombres. Léonie crut entendre une cloche tinter dans la vallée en dessous, une seule note ténue, mélancolique, mais quand elle tendit l’oreille, elle ne perçut que les bruits de la campagne au crépuscule. Le murmure du vent dans les arbres, les chants croisés des oiseaux à la nuit tombée. Puis le cri perçant d’un hibou s’apprêtant à une nuit de chasse.
Bras nus, frissonnante, Léonie finit par refermer les battants de la fenêtre et, après une hésitation, elle tira les rideaux. C’était sans doute l’un des jardiniers qui avait bu un coup de trop, ou bien un jeune gars en maraude qui prenait un raccourci interdit en coupant par les pelouses. Pourtant elle regrettait de l’avoir surpris, car il y avait quelque chose de déplaisant, voire de menaçant, dans cette silhouette entrevue, qui lui laissait une impression de malaise.
Le silence de la pièce fut soudain troublé par un coup sur la porte.
— Qui est-ce ? lança-t-elle.
— C’est moi, répondit Anatole. Puis-je entrer ? Tu es visible ?
— Attends, j’arrive.
Léonie boutonna sa robe de chambre et lissa ses cheveux, surprise de s’apercevoir que ses mains tremblaient.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-il quand elle lui ouvrit la porte. Tu as l’air inquiète.
— Non, tout va bien.
— C’est sûr, sœurette ? Tu es blanche comme un linge.
— Ce n’est pas toi qui marchais sur les pelouses, il y a quelques minutes ?
— Mais non. Je suis resté sur la terrasse après vous juste le temps de fumer une cigarette. Pourquoi ?
— Non, rien… Aucune importance.
Sans doute l’un des garçons d’écurie, se dit-elle.
Anatole fit valser les vêtements de Léonie par terre pour prendre place dans le fauteuil, puis il tira son étui à cigarettes et sa boîte d’allumettes de sa poche et les posa sur la table.
— Pas ici ! implora Léonie. Ton tabac est une infection.
Haussant les épaules, il sortit de son autre poche un petit opuscule bleu et, se levant, il traversa la pièce pour lui tendre la monographie.
— Tiens. Je t’ai apporté quelque chose pour t’aider à passer le temps. Diables , esprits maléfiques et fantômes de la montagne , dit-il avant de retourner s’asseoir.
Mais Léonie n’écoutait pas, elle songeait encore à l’homme et à sa démarche furtive. Était-il toujours là, tapi dans l’ombre ?
— Léonie, tu es sûre que ça va ?
La voix d’Anatole la fit revenir à elle et, baissant les yeux, elle découvrit le volume qu’elle avait à la main, comme surprise de l’y trouver.
— Mais oui, répondit-elle vivement, gênée. Quel genre de livre est-ce là ?
— Je n’en ai pas la moindre idée. Il m’a l’air passablement horrible, et donc susceptible de te plaire. Je l’ai déniché dans la bibliothèque, couvert de poussière. L’auteur est un certain Audric Baillard, qu’Isolde compte justement inviter samedi à souper. Certains passages ont trait au Domaine de la Cade. Il y a
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