Serge Fiori : s'enlever du chemin
Lorsque Fiori entre dans la
salle de spectacle du Théâtre Saint-Denis, Dominique Michel, qui achève sa répétition, descend de scène et s’approche de lui. À sa manière très caractéristique, elle lui prend
le visage entre ses deux mains, à la hauteur des joues et,
le fixant dans les yeux, lui déclare : « Mon beau Serge, t’as
encore trouvé la bonne musique à la bonne place… » Fiori
est ému, touché par cette reconnaissance spontanée.
Serge Fiori est devenu une légende après son retrait, très
jeune, de la vie publique. Une aura de mystère s’est donc
constituée autour de lui. Comme il n’a jamais expliqué au
public et aux médias les raisons motivant sa « retraite »,
nombreux sont ceux qui croient pouvoir, avec une offre
alléchante, le faire remonter sur scène. Mais il ne s’agit
pas de vagues considérations pécuniaires. L’angoisse et
le malaise qui s’emparent de lui dès qu’il est question de
retourner sur les planches sont les seules raisons qui l’empêchent d’y remonter. Il n’est pas allergique à l’argent, et
encore moins au public : rien ne lui ferait plus plaisir que
d’être physiquement capable de s’exposer de nouveau. Il
serait très heureux de se retrouver au cœur d’un projet qui
l’allume et le stimule, mais c’est impensable, impossible,
point final. Il doit chaque jour travailler d’arrache-pied
sur lui-même pour accepter cette limite et surtout, pour la
faire respecter. Combien de pièges lui a-t-on tendus pour
le faire revenir sur scène, pour le faire chanter devant public, pour lui faire endosser une juste cause ? Ils sont incalculables. À chaque occasion, il s’est senti floué, trahi, utilisé, incompris. Chaque fois, il recule encore un peu plus,
s’isole davantage. Il comprend qu’on cherche à profiter de
sa notoriété, qu’on cherche à l’associer à des projets ; il a
beau définir clairement la ligne qu’il ne peut pas franchir,
il est toujours l’objet de pressions destinées à lui faire faire
un pas supplémentaire.
Au cours des années suivantes, Gilbert Rozon tentera
d’introduire de nouvelles chansons thèmes à son festival,
l’une signée de la main de Robert Charlebois, que Fiori a
lui-même produite dans un studio de Morin Heights, et
l’autre, composée par le chanteur français Renaud. Ces
deux nouveaux thèmes ont par contre rencontré un accueil
mitigé, et Rozon reviendra vite avec le thème de Fiori, qu’il
conservera définitivement. Trente ans plus tard, cette mélodie est devenue la signature, l’image de marque du Festival Juste pour rire, tant ici qu’à l’étranger. C’est la chanson
thème des productions Juste pour rire, et elle accompagne
l’ouverture de tous les show s de télé Juste pour rire diffusés
dans le monde. Il s’agit d’une grande réussite, comme tant
d’autres chansons de Fiori, et qui appartient désormais au
domaine public.
Album solo
À la fin de 1985, l’idée de composer un nouvel album
naît dans l’esprit de Serge Fiori. Il veut, cette fois, produire
un véritable album solo, du pur Fiori, dont le thème sera
son admiration pour la femme. Équipé comme il l’est désormais, il pourra même enregistrer cet album chez lui. Il
discute de son projet avec Richard Bleau, l’un de ses amis,
ainsi qu’avec Georges, son père. Il se demande s’il n’y aurait
pas moyen de créer, de chanter, tout simplement, et que ça
s’arrête là. Peut-on lui ficher la paix ensuite et ne pas exiger
de lui qu’il monte sur scène ? « Bien sûr, pourquoi pas ? »
lui répondent ses deux interlocuteurs, excités à l’idée que
Fiori se remette enfin en selle, même si c’est uniquement
pour sortir un album !
Georges ne perd pas une seconde ; ça fait des années qu’il
rêve de ce moment ! Il court chez Polydor, la compagnie de
disques, et présente le projet aux personnes concernées.
Il négocie les termes du contrat pour son fils. Bien entendu, les gens de l’entreprise Polydor, qui devinent que ce
point peut devenir une pierre d’achoppement dans l’entente, exigent une tournée de spectacles après la sortie de
l’album, afin d’en faire la promotion. Georges, fidèle à ses
habitudes – combines pas claires et pensée magique –, les
rassure : « Inquiétez-vous pas. Je le connais, mon gars ! Il va
avoir un gros kick , et il va vouloir en faire, des spectacles
Weitere Kostenlose Bücher