Serge Fiori : s'enlever du chemin

mental. Fiori fonce directement dans un mur s’il continue de
travailler avec ces deux-là, mais il n’en a pas conscience.
Avec le recul, il se demande   : «   Comment j’ai pu croire au
sérieux de ce projet-là   ? Comment j’ai pu ne pas voir les
signes évidents de toxicomanie chez eux   ? Mystère. Ce qui
est certain, c’est que j’avais onze belles tounes, un studio
réservé, des pistes enregistrées. Et ils ne se sont jamais présentés. Ça s’est fini comme ça. J’avais perdu mon temps.   »
Dur coup pour un artiste qui compte sur son studio pour
gagner sa vie.
    Entre-temps, Libert continue de rendre visite à Serge
régulièrement. Il se réjouit de le voir remonter la pente,
et il ne cache pas à son entourage qu’il espère toujours le
voir reprendre du service avec Harmonium, en temps et
lieu. D’ici là, il lui propose d’écrire de la musique pour le
prochain spectacle d’Yvon Deschamps à la Place des Arts, C’est tout seul qu’on est le plus nombreux . Fiori accepte avec
plaisir. Les deux hommes se vouent une admiration réciproque, et Serge se trouve privilégié de voir le grand humoriste débarquer chez lui pour travailler. Le plus grand
défi auquel Fiori doit faire face dans ce projet, c’est que
tous les textes des chansons de Deschamps sont déjà
écrits. Habituellement, on l’a vu, Serge compose tout en
même temps   : paroles et musique. Il devra s’habituer à une
autre façon de procéder, mais le défi lui plaît. Il compose
la musique des pièces Seul , Rêve et Mon ami , puis la chanson d’ouverture. Pour Yvon Deschamps qui, lui, a l’habitude de travailler avec Jacques Perron, l’expérience revêt
un caractère unique. «   C’était spécial pour moi, parce que
je connaissais Fiori de réputation. J’étais honoré qu’il accepte d’écrire ma musique. Hé   ! Fiori, c’est quelque chose   !
J’avais entendu dire qu’il était timide et ne parlait à personne. Que si ça lui était possible, il ne sortirait jamais de
chez lui. La rumeur populaire disait qu’il avait eu peur du
succès et qu’il s’était renfermé. On s’est vus quelques fois
chez lui. La première fois, je lui ai apporté les paroles de
mes chansons. Quand j’y suis retourné, quelques jours
plus tard, il m’a dit “j’ai changé quelques paroles, ça fitte mieux”, poursuit Deschamps en éclatant de son rire légendaire. Mais il avait raison, au fond. Il avait l’habitude de
composer les paroles et les musiques. Moi, j’écrivais plutôt
des poèmes, c’était un peu carré, pas toujours très musical. Serge m’a mis ça moins carré. C’était très, très beau ce
qu’il a fait. C’était magnifique.   »
    Tout au long de son travail de composition, Fiori essaie
de faire en sorte que sa musique rende hommage au travail
de Deschamps. L’humoriste est une idole de Serge, il l’admire, et sent qu’il a la responsabilité de mettre ces beaux
textes en musique de telle façon que le talent de l’artiste
soit mis en valeur. C’est ainsi qu’il compose la musique de Seul , une chanson sur la mort, un bijou d’une grande sensibilité, dont l’air séduit Deschamps.
    «   J’ai constaté par moi-même que Serge Fiori était un
homme d’une grande sensibilité. Je le sentais fragile, comme tous les grands artistes, d’ailleurs. Lorsqu’on le regarde
sur scène ou qu’on entend sa voix, cette sensibilité est évidente, et c’est la même que je retrouve dans la chanson Seul . Même si on est toujours contents de se voir, on n’a
pas développé de relation intime ou amicale. Je pense que
comme moi, Serge n’est pas un homme très “social”.   »

    Gilbert Rozon, président et fondateur du Festival Juste
pour rire de Montréal souhaite donner une signature musicale à son événement naissant. Il rêve d’un thème rassembleur grâce auquel tout le monde pourrait identifier,
dès les premières notes, son événement. Il pense aussitôt
à Serge Fiori. Au premier abord, la proposition surprend
le musicien   : il ne s’est jamais imaginé écrire un jour l’indicatif thème d’un festival populaire, mais étant donné
qu’il ne peut plus monter sur scène, qu’il est résolu à ne
faire que du studio et de l’enregistrement, il envisage ce
contrat comme étant une possibilité d’essayer quelque
chose de nouveau   ; il sent qu’il est parfaitement capable
de surmonter ce défi. Afin de bien