Serge Fiori : s'enlever du chemin

anglais qu’elle désire faire un album   ; elle pense que Serge
est great, et elle est persuadée qu’elle pourrait aller plus
loin. Elle s’excuse de s’exprimer en anglais, mais lorsque
Fiori réplique qu’il est parfaitement bilingue, et qu’il peut
même lui écrire une chanson en anglais, si elle le souhaite,
elle tombe immédiatement sous son charme.
    Pendant des heures, Serge et Nanette discutent de musique, de production, de tout ce qui les passionne. Patient,
André les écoute, les encourage, leur cède toute la place. À
la fin du repas, Fiori prévient Nanette   : «   Je te le dis tout de
suite, Nanette, je suis pas reposant   ! Je vais te faire chanter
comme je pense que tu devrais chanter. Parce que si on y
va, on y va. Et ce ne sera pas une route facile.   » Nanette accepte   ; c’est exactement ce qu’elle cherche. Ils se quittent
sur un accord.
    Au retour, Serge marche de longues minutes dans Montréal. Il est psychiquement, émotionnellement et physiquement sous le charme de la chanteuse. Il est bouleversé
et doit maintenant rentrer chez lui, retrouver Marie-Claire.
Celle-ci compte toujours beaucoup pour Serge, leur amitié
lui est précieuse, et ils n’ont probablement pas complètement enterré l’idée de renouer amoureusement. Lorsqu’il
entre chez lui, il ne raconte pas sa soirée à sa compagne. Il
ne s’en sent pas capable, il est trop troublé.
    Quelques jours plus tard, Nanette rappelle le musicien
et organise une première rencontre chez lui, dans son
studio. Lorsqu’elle se présente à la porte, Fiori ouvre, et
Marie-Claire est dans son sillage. Dès qu’elle aperçoit Nanette, Marie jette à Serge un regard lourd de signification.
Sur son visage, ce jour-là, on pouvait lire «   we’re fucked   ».
Serge balbutie un vague mot de bienvenue, puis fait entrer
Nanette.
    Bien qu’elle soit fort troublée et inquiète pour la suite
des choses entre Serge et elle, Marie-Claire tombe tout de
même sous le charme de Nanette. «   Tu ne peux pas ne pas
aimer Nanette   », avoue-t-elle. Conciliante et généreuse,
Marie-Claire n’est pas du genre à s’interposer dans les relations professionnelles de Serge. Elle laisse donc toute liberté aux deux musiciens de se rencontrer, d’élaborer des
projets.
    Pour l’instant, le projet qui s’amorce s’annonce difficile
et tortueux, et pas nécessairement sur le plan professionnel   : Nanette vit avec André Gagnon, qui l’aime profondément, et avec lequel elle attend son premier enfant, alors
que Serge et Marie-Claire sont soudés par l’amitié et l’interdépendance. Comment toutes ces personnes peuvent-elles traverser cette épreuve   ? Serge et Nanette sont manifestement attirés l’un par l’autre, mais ils repoussent le
moment où ils céderont à cette pulsion. L’écheveau de leur
vie respective leur apparaît inextricable, et ils demeurent
conscients, malgré le désir ardent qui les consume, qu’entamer une relation viendrait dangereusement compliquer
les choses. Ils ne se le disent pas, mais chacun reconnaît et
ressent l’élan de l’autre. À un certain moment, Marie-Claire
ne peut plus supporter cette situation   : elle s’en va alors
passer quelques semaines chez son amie Élise, qui habite
sur le boulevard Décarie à Montréal. Fiori se découvre vite
désespéré sans son amie   : lorsqu’il la retrouve lors de soupers à Montréal, il la supplie de revenir vivre auprès de lui.
    Pour la création de l’album de Nanette, Serge doit se
remettre à l’écriture. Rédiger pour quelqu’un d’autre implique une technique différente   : il faut voir l’autre, sentir
l’autre, devenir l’autre, percevoir ce qu’il a vécu, deviner
ce qu’il va vivre, imaginer les choix que cet autre ferait.
«   S’enlever du chemin   », ici, prend tout son sens   : Fiori doit
substituer l’esprit de Nanette au sien, se désincarner pour
se métamorphoser en elle. Pour ce faire, il doit se mettre,
comme il le dit, en mode alpha, l’étape qui précède tout
juste le sommeil. Heureusement, il arrive à accéder à cet
état seulement lorsqu’il est en contemplation, sans technique particulière. Dans son salon, il possède un confortable
fauteuil de cuir noir, une sorte de La-Z-Boy dans lequel il
s’allonge, dans le plus parfait silence. Sa feuille blanche et
sa plume sont sur un bureau dans le studio. Il visualise Nanette et il attend. Il ne cherche pas, ne