Serge Fiori : s'enlever du chemin

force rien   : il attend.
Visualiser trop intensément et tenter de forcer les choses
génèrent habituellement des clichés, ce qu’il veut éviter.
Parfois, alors qu’il s’apprête à basculer dans le sommeil,
une phrase, quelques mots surgissent soudain. Il se lève, se
dirige vers ses feuilles   ; lorsqu’il les atteint, s’il se souvient
des phrases, c’est qu’elles sont bonnes. S’il les a oubliées,
c’est qu’elles ne valaient pas la peine d’être consignées.
C’est ainsi que Fiori écrit la première pièce, D’accord , une
chanson déchirante qui évoque une relation amoureuse
entre Nanette et lui. «   Je ne sais pas encore à quel point
cette chanson ressemblera véritablement à notre relation,
ni que je vais marier ces paroles à la musique que j’avais
composée pour Louis Saïa. C’est le lendemain, en prenant
mon café et en relisant ce texte que je réalise que je vais
bientôt être dans le trouble   : tout ce qui se passera trois
ans plus tard est écrit dans cette chanson   !   » Cette pièce,
Nanette l’interprétera d’ailleurs avec des accents de vérité
qui troublent encore Serge aujourd’hui   ; elle a habité cette
chanson, comme rarement elle s’est investie.
    Composer pour Nanette exige une sonorité anglo-saxonne, Fiori le sait. Depuis qu’il est tout petit, il apprend
paroles et musique à l’oreille et la sonorité revêt une importance toute particulière   ; or, ce que chante Nanette en
anglais, dans la plupart de ses chansons, ne peut absolument pas se traduire en français. Nanette est une rockeuse
typique et lorsqu’elle écrit, elle utilise parfois des termes
qui ne sonnent justes qu’en langue anglaise   : babe, darling ,
etc., et qui sont associés au rock and roll .
    Composer des textes pour la chanteuse relève donc
autant d’une gymnastique intellectuelle que d’un exercice sur les sonorités, qui doivent tenir compte des racines anglophones de Nanette, pour qu’elle puisse incarner
les mots avec authenticité. En utilisant le même principe
de composition que pour les mantras, Serge compose au
son. De toute façon, pour lui, Nanette est un talent pur,
une sonorité. Le sens des paroles, le propos, doit venir en
second   : non pas que la chanteuse ne se laisse pas émouvoir par les textes, bien au contraire, mais lorsque les textes la touchent et que la sonorité est fidèle à ce qu’elle est,
les paroles roulent naturellement dans sa bouche. «   C’est
comme du velours   », dit Serge. Pourtant, Nanette demeure
sceptique. Même si elle reconnaît à Fiori un talent hors
du commun, elle a du mal à croire qu’il puisse rendre naturels, dans sa bouche, des textes en français. La suite lui
prouvera le contraire.
    Se mettre en mode alpha, ce n’est pas trop difficile pour
Fiori   : il rêve de Nanette jour et nuit, éveillé autant qu’endormi. Il compose les paroles de Ballons percés , une pièce
qui décrit l’illusion de l’amour et de l’attirance. Encore une
fois, lorsqu’il rédige ce texte, il parle de ce qui se passera
dans deux ans   : tout ce qui est relaté dans cette chanson
va lui arriver concrètement   ! Fiori invite son ami Locat à
se joindre au duo afin de composer la musique de Ballons
percés . Ils tiennent leur premier thème. Fidèle à ses envolées musicales, Locat livre au couple une musique magnifique. Nanette est impressionnée. Dans cette pièce, la
contribution musicale de Serge se limite à un solo de guitare, mais quel solo   ! Il est si impeccable que les musiciens
gardent l’enregistrement initial. «   De tous les solos de guitare que j’ai joués, celui sur la chanson Ballons percés est
mon plus beau. Je l’ai joué d’un seul coup, inspiré par mes
sentiments pour elle.   » Nanette croyait que Serge était essentiellement un guitariste acoustique   ; elle est émue aux
larmes de l’entendre jouer avec une telle maestria.
    Yvon Bellemare, un pianiste que Serge affectionne beau
coup, compose avec eux la pièce plutôt blues Quand le soir
tombe , dans laquelle Serge décrit la distance qui sépare un
couple qui n’a plus que le téléphone pour se parler. Une
autre pièce prémonitoire   ! Il vivra cette relation à distance
avec Nanette. Cette chanson est une belle illustration de ce
qu’affirme Fiori, quand il prétend qu’une bonne chanson
doit à la fois être très personnelle, rejoindre le public, qui
doit aussi se