Serge Fiori : s'enlever du chemin
celui-ci ressent une
terrible douleur au dos, une douleur lancinante qui lui
donne l’impression qu’on lui plante un poignard à répétition. Claire, paniquée, téléphone à Serge et lui demande de
venir les retrouver. Lorsqu’il entre dans la cuisine, il trouve
son père accroupi près de la table, la tête appuyée sur ses
bras. Georges relève la tête et son regard croise celui de son
fils. Dès qu’il voit le visage de son père, Fiori sait. Il devine
que ça y est, c’est la fin. Il le sent, le ressent, le pressent.
« C’est pas vrai, pense-t-il, on n’est pas rendus là ? »
Serge est incapable de faire face à sa propre douleur.
Il quitte donc la maison et va marcher quelques minutes
dans le parc en face. Il sait qu’il est le soutien de Georges,
son poteau, son point d’appui, sa bouée ; il ne peut éclater
en sanglots devant lui, ça le dévasterait. Il marche quelques minutes, le temps de se recomposer un visage et de
se donner une certaine contenance, puis il retourne chez
ses parents.
Serge et Georges se rendent à l’hôpital, où ce dernier
subit une batterie de tests : quelques heures plus tard, les
résultats sont clairs et le verdict tombe.
« C’est le pire jour de ma vie. Le pire moment. On est
assis, le médecin et moi, dans une espèce de petit cubicule vitré. Il me montre la radiographie. Il y a deux tumeurs,
de la grosseur d’un pamplemousse. Une sur le poumon,
l’autre dans le dos. Je sais que mon père me voit derrière
la vitre. Je ne veux pas lui montrer mes émotions, j’essaie
de contrôler ma réaction. Mais je suis dévasté et ça paraît
dans mon langage non verbal. Alors, je m’éloigne de la vitre
pour pleurer. Puis, le médecin me dit : “Ce ne sont pas les
tumeurs qui sont le pire problème. À la limite, on pourrait
faire quelque chose, les enlever, par exemple. Mais ce qu’il
y a derrière est encore plus inquiétant. Il s’agit d’une forme
de cancer du poumon fulgurant. À mon avis, il ne lui reste
que vingt-six jours à vivre.” Ma tête a craqué, je me suis
senti défait comme jamais ça ne m’était arrivé dans ma vie.
C’est comme si ma tête se cassait en mille morceaux. Lorsque je me suis retourné vers mon père, je savais que même
si je ne pleurais pas, il voyait tout. Je le regardais, assis là, et
je me disais : “C’est pas vrai. C’est pas vrai…”
« Je me suis retourné de nouveau vers le médecin et je
lui ai craché : “Mais qu’est-ce que tu me dis là, toi ? Répète
donc ça !” Lorsqu’il m’a redit que mon père n’en avait que
pour vingt-six jours, j’ai explosé : “Comment peux-tu savoir ça ? T’as pas un chronomètre, t’es quand même pas en
charge de l’horloge !” »
Dans un silence lugubre, Serge raccompagne son père
jusqu’à la voiture. Lorsqu’ils se mettent en route, Georges
brise son mutisme et dit à Serge : « Je ne veux pas m’en aller
chez nous.
—
Mais, papa, qu’est-ce que tu veux dire ?
—
Je veux aller faire ça chez vous. Je veux être avec toi. Je veux pas vivre ça chez nous.
—
Tu veux pas vivre quoi ?
—
Tu sais de quoi on parle. Je t’ai vu la face.
—
Bon, O.K. »
Sans rien dire à Claire, Georges s’installe chez son fils.
Sa grande amie Nicole, infirmière-chef à l’hôpital Pierre-Boucher de Longueuil, accourt au chevet de l’homme malade. Avec l’aide de Serge et de Marie-Claire, elle installe
tout le matériel médical qui servira à soutenir George dans
les semaines à venir. Le salon de la rue Saint-Laurent se
transforme en chambre d’hôpital : lit, tente à oxygène,
morphine. Tout ce qu’il faut pour soulager les douleurs
physiques de Georges.
Exactement comme l’avait prédit le médecin, avec une
précision qui laisse pantois, Georges vivra là les vingt-six
derniers jours de sa vie auprès de son fils adoré. Une semaine avant sa mort, il peine à marcher : il parvient tout
juste à se lever et à faire quelques pas. Du matin au soir,
Serge et Georges écoutent de la musique, des classiques de
Georges aux mantras de son fils.
Malgré sa grande faiblesse, le vingt-cinq mai, lors de
l’un des derniers spectacles de son orchestre à la Place des
Arts, Georges revêt son plus beau costume, comme aux
meilleurs jours de sa vie ; il est magnifique. Il attend deux
amis qui viendront le chercher pour l’emmener en ville. Il
y fera une
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