Serge Fiori : s'enlever du chemin
montrerait assez naïf, cette fois, pour se faire enfirouaper par son irrécupérable père, ce personnage peu
commun ?
« Mon
père
me
manque
tellement !
Même
encore
aujourd’hui, il est là, je le sens très présent. Dès que j’entends de la musique italienne ou que quelqu’un m’offre
une bouteille de vin qu’il aimait, je le sens là, présent. Dès
que j’ai besoin de lui ou que je dois décider quelque chose,
je reçois un signe qui me dit qu’il me soutient. Même s’il
est mort aujourd’hui, quand je tombe dans la vibration de
mon père, il y a de la musique italienne dans ma tête. Et
tout à coup, je me retrouve en pensée au resto et le serveur arrive avec une bonne bouteille de rouge italien. On
ne peut pas être autre chose que d’où on vient. Comme
lui, j’aime la fête, le party . Mes portes sont grandes ouvertes pour le monde, la vie. J’ai un côté bum , un côté “vie de
gars” qui ne vient pas des voisins… Au final, je suis peut-être comme lui, un éternel ado, qui a juste eu la chance de
pogner dans un band et de vivre de ses droits d’auteurs.
« À partir du moment où mon père est mort, je ne me
suis jamais autant senti seul. Seul dans l’âme. Et là, j’ai
commencé à dévaler une pente. À toute vitesse… »
Pendant que Serge récupère chez sa mère, Marie-Claire
fait le grand ménage de la maison. Elle retourne tout le matériel à l’hôpital, sort tous les objets appartenant à Georges, nettoie et purifie les lieux.
Serge ne voit pas le temps passer. Il fait la navette de
plus en plus souvent entre Longueuil et Laval. Il n’ose pas
laisser sa mère seule ; elle est en détresse elle aussi, alors il
reste avec elle le soir et la nuit, puis il passe une partie de la
journée avec Marie-Claire, qui retourne travailler au Centre. Bientôt, elle déménage dans un vaste complexe que les
administrateurs viennent d’acheter, dans les Laurentides,
un endroit qui servira à la fois de centre de services et de
lieu d’hébergement pour les employés : chacun aura sa
petite maison sur le site. Marie-Claire va rejoindre le reste
du groupe, de sorte qu’elle n’habite plus, pour un temps,
avec Fiori. Pour la voir, son ami doit se rendre dans les
Laurentides le week-end, se payer deux heures et demie
de route pour la rencontrer au restaurant le temps d’un repas. Ces rendez-vous ne font pas l’affaire du Centre : on lui
demande de se brancher : Fiori ou le Centre.
Bien qu’il entretienne depuis peu des doutes à propos
de sa relation avec Majoly, Serge a l’impression d’être exactement à l’endroit où il a toujours souhaité être : posséder un studio d’enregistrement, faire de la réalisation, se
gaver de musique, de son, de danse, de cinéma. Mais le
deuil de son père ne se fait pas ; au fond de son être, une
grande solitude et une peine immense se terrent, ne demandant qu’à le tourmenter. Ce mal-être le mène à tous
les excès : durant huit mois, c’est la rumba permanente.
Tous les soirs, Serge et Majoly s’étourdissent, mangent au
restaurant, descendent des bouteilles de vin, vont danser
le hip-hop dans les bars branchés du Plateau, fréquentent
autant les clubs chic que les trous inconnus de la ville. À
la fermeture des établissements, le duo se retrouve souvent dans les after-hours , des endroits sordides où Serge
n’aurait jamais imaginé mettre les pieds, et ils absorbent
plus de shooters qu’ils sont capables d’en compter tant ils
sont ivres.
Mais ces soirées arrosées connaîtront une fin brutale.
Au mois d’août 1997, à la sortie d’un bar, Majoly se fait
sauvagement attaquer. Ce soir-là, fidèle à ses habitudes,
le couple commence la soirée au restaurant Nuevo de la
rue Mont-Royal. Il y rencontre Danielle, une connaissance,
qu’il invite à l’accompagner dans sa virée nocturne. Le trio
décide d’aller danser au Dogue, une boîte de nuit de la rue
Saint-Denis, au coin de Rachel. Comme c’est tout à côté,
ils s’y rendent à pied, laissant le vélo de Danielle près du
restaurant. Ils passent une agréable soirée, jusqu’à trois
heures, moment de la fermeture. Serge, Majoly et Danielle
se retrouvent à l’extérieur. Fiori remarque une voiture peu
commune, une Chevrolet rose décapotable, un modèle
luxueux, dans lequel sont assises quatre jeunes filles. Fiori
marche lentement devant, avec Danielle, et Majoly les suit
plusieurs pas
Weitere Kostenlose Bücher