Serge Fiori : s'enlever du chemin
apparition, mais sans Serge, qui est trop secoué,
trop triste pour participer à cette dernière sortie publique
de son père. Fiori le regarde partir et éclate en sanglots dès
que la porte se referme.
Cinq jours plus tard, le trente mai, vingt-sixième jour
après le fatidique diagnostic, aux alentours de midi, Georges se lève de son lit, prend le bras de son fils et entreprend
de faire avec lui le tour de la maison. Il s’arrête devant
chaque fenêtre du rez-de-chaussée et regarde dehors en
silence. Serge ne comprend pas très bien ce que fait son
père, mais il le soutient et l’accompagne à petits pas, tout
doucement.
Lorsqu’ils ont fait le tour de toutes les fenêtres, Georges ramène Serge à son fauteuil, s’assoit à côté de lui et
le regarde un moment. Puis, il insère dans le lecteur CD
la pièce Dieu de la mort, tirée du mantra Shiva, interprété
par son fils, et la fait jouer ; il s’installe alors en position
de yogi, une posture qu’il n’avait jamais adoptée auparavant, et ferme les yeux ; il laisse la vie quitter peu à peu son
corps et s’affaisse au sol, mort. Cette fin, surréaliste mais
spirituelle, ravage Serge qui se rue sur le corps inanimé de
son père. Il se colle à lui en pleurant avec toute la force du
désespoir. Nicole s’interpose, tente d’éloigner Serge, mais
submergée elle-même par une peine immense, en larmes,
elle finit par se joindre à lui. Ils demeurent ainsi, dans cette
position à la fois macabre et belle, grotesque et touchante,
durant de très longs moments.
Ensuite, comme dans un mauvais scénario, la morgue
vient chercher le corps de Georges, qu’on glisse dans un
sac de plastique, bêtement, devant le regard ahuri de Serge
Fiori qui vient de perdre son père, son ami, son complice
et son plus fidèle admirateur. C’est terminé.
Tout au long de ces vingt-six jours d’agonie, Claire n’est
jamais venue rendre visite à son mari.
Il faut maintenant annoncer la nouvelle à Claire. Son fils
se rend chez elle, à Duvernay, et lui raconte les dernières
heures de son époux. Comme si elle venait de sortir d’un
rêve qui la paralysait, elle réalise que Georges était vraiment malade, qu’il ne souffrait pas d’une hernie, comme
elle l’avait prétendu dans son aveuglement volontaire. Serge lui-même ne peut contenir toute la charge émotive qui
le submerge depuis un mois : il s’effondre. Au sol, il entre
en convulsions, se tord en tous sens, sanglote et gémit. Sa
mère, impuissante et démunie, elle-même au bord de la
crise, une crise peut-être davantage due à l’état de son fils
qu’à la mort de son mari, songe à appeler Majoly et Marie-Claire pour obtenir de l’aide.
Les secours arrivent ; tout le monde se précipite chez
Claire et, durant les trois jours suivants, on se relaiera au
chevet d’un Serge fiévreux, affaibli et inconsolable. Les
proches prennent en charge les démarches pour les funérailles et c’est tel un zombie que Fiori se présentera au salon funéraire, le temps de l’exposition de la dépouille de
son père. Tout lui semble absurde, rien ne semble avoir de
sens. Ses oncles, ses tantes, ses cousines, ses amis lui parlent, mais Serge demeure résolument absent. Il est présent
de corps, mais son esprit est loin, perdu au cœur d’une région sombre et brumeuse. Cela perdurera jusqu’au terme
du troisième jour, quand la dépouille de Georges Fiori sera
enfin portée en terre.
Incapable de rentrer chez lui, Serge s’installe temporairement chez sa mère. Il dort dans le lit de Georges ; durant
cette période de deuil, le fait de se retrouver dans les lieux
qu’habitait son père fait remonter en lui une foule de souvenirs. Il se remémore les beaux instants vécus avec cet
homme qu’il a tant aimé. Il passe en revue les moments
de rituels avec lui, moments qu’il a chéris tout au long de
son enfance. Ces rituels qu’ils ont répétés jusqu’à la fin,
se contentant d’inverser les rôles quand Serge est devenu
adulte. C’est lui, alors, qui emmenait son père vivre des
journées inoubliables sur la rue Sainte-Catherine, dans le
temps des fêtes. Lui, maintenant, qui payait les sorties, qui
trouvait de nouveaux restaurants italiens où bouteilles de
vin et musique napolitaine agrémentaient la fête, où ils enfilaient blagues et discussions sans fin. Il se revoit en train
de deviner quelle serait la prochaine victime de Georges.
Qui se
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