Serge Fiori : s'enlever du chemin
musique pourra embrasser ce film, « le prendre
dans ses bras ».
Arcand croit en Fiori, qui aime travailler avec Paul : il
est sensible aux grands défis qu’il rencontre. Après tout,
c’est le premier film du journaliste, et le sujet s’avère fort
délicat. Encore une fois, Serge travaille avec les images : il
scrute les scènes clés, mais cette fois, il écoute moins les
dialogues. Après avoir visionné le film, il va marcher, le
temps de se changer les idées, puis il revient et joue. Il improvise pour que la musique jaillisse des sentiments qu’il
ressent, des émotions qui l’animent. C’est ainsi qu’il compose des thèmes, cinq ou six, qu’il fait ensuite écouter à
Paul. Il veut que sa musique, et le compositeur de celle-ci, prennent dans leurs bras les enfants blessés et abusés,
ainsi que le réalisateur. Il veut composer une musique rassurante, mais qui tiendra compte des atrocités qu’évoque
le documentaire.
Autant il respecte la production et reconnaît les forces
exceptionnelles de Denise Robert, autant Fiori trouve difficile de gérer les attentes de cette femme : c’est qu’ils ne
fonctionnent pas du tout de la même manière, ces deux-là.
Quand Denise passe au studio pour entendre les démos de
Serge, elle est à l’heure, pressée et directe, tant en ce qui a
trait à ses attentes qu’à ses limites.
À l’annonce de l’une des visites de la productrice, Serge stresse un peu ; il sait qu’elle n’est pas facile, qu’elle est
exigeante et très déterminée et dans ces moments-là, le
côté Gaston la gaffe du musicien – c’est inévitable – ressort toujours. Il trébuche ou laisse tomber son café, mais
le pire, c’est que ses instruments, qui en temps habituel
fonctionnent toujours bien, se mettent à défaillir dès qu’il
est en présence de la productrice : l’écran gèle, l’ordinateur saute, tout y passe. Pourtant, ça fait un mois que Fiori
travaille sur le projet et tout va comme sur des roulettes.
Mais lorsque Denise est présente, le musicien est comme
un petit garçon qui se fait prendre en défaut et qui ne cesse
de se confondre en excuses.
Quoi qu’il en soit, la postproduction du film s’achève
dans l’harmonie et le documentaire est lancé en salles. Il
remporte un énorme succès. Fiori s’estime heureux d’y
avoir contribué.
La première fois que Serge a rencontré Suzanne Parayre,
elle était alors la conjointe de Bill Jodoin, un guitariste embauché pour les spectacles Fiori-Séguin. La jeune femme
avait exercé un attrait certain sur Serge, mais comme il
était alors en couple, la chose était demeurée lettre morte.
À l’époque, Suzanne n’avait pas remarqué l’effet qu’elle
avait eu sur le musicien. De fil en aiguille, ils se sont parlé
au téléphone, une ou deux fois par année, toujours sur un
ton badin, léger et drôle.
Un soir, Fiori croise Suzanne au club vidéo de son quartier, qui est aussi le quartier de Suzanne. Intellectuelle,
racée, instruite, la femme se passionne pour les films de
répertoire sous-titrés, un peu obscurs, hermétiques et difficiles d’accès : tout ce que Serge déteste en matière de cinéma. Avisant le chef-d’œuvre austro-hongrois en noir et
blanc qu’elle tient dans les mains, il se glisse derrière elle et
lui lance : « Oh boy, tu vas t’éclater ce soir ! » Suzanne reconnaît la voix du musicien et se retourne : « Fiori ! Ben, voyons
donc ! » Au moment même où elle prononce ces paroles,
Serge sent fondre son cœur. La beauté de Suzanne, son air
mutin, son sourire… Il vient de retomber en amour ! Au
cours des jours et des semaines subséquentes, ils se verront et se parleront plusieurs fois par semaine. Comme ils
sont tous les deux libres et célibataires, rien ne les empêche d’entretenir une relation, mais ils ne précipitent rien ;
au cours des premières semaines, ils sont occupés à tenter
de mieux se connaître. Ils ont, au téléphone, de longues,
profondes et intenses conversations, et c’est tout naturellement, avec l’impression de bien se connaître, que commence leur relation amoureuse. Fiori voit Suzanne pour
un souper un vendredi soir, la raccompagne chez elle… et
passe le week-end là.
Marie-Claire, sans nouvelles de son ami depuis plus de
quarante-huit heures, est paniquée lorsqu’à l’aube, le lundi
matin, Serge rentre à la maison, un sourire béat aux
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