Serge Fiori : s'enlever du chemin
s’il sait
que cette chanson est difficile à chanter et à interpréter ;
au contraire, il encourage Normand, qui répète la pièce,
la répète et la répète encore. Le vingt-quatre juin, quand
Brathwaite se lance avec l’orchestre de Belle et Bum , Serge
est nerveux, assis devant sa télé ; il soutient son ami en
pensées.
« S’il y a une chose que j’ai bien faite dans ma vie et dont
je suis fier, c’est d’avoir chanté cette pièce, ce soir-là. Ça
rentrait au poste. On avait rendu la chanson très latino,
tout le monde y allait de son solo. Le band était tellement
content. Aujourd’hui, avec du recul, je réalise ce que j’ai
risqué ce soir-là, je fonçais droit dans un mur et j’ai évité
un accident, et je ne prendrais plus ce risque aujourd’hui.
« Serge m’a appelé le lendemain et m’a dit qu’il avait
écouté le show avec Marie-Claire et qu’ils étaient tous les
deux “sur le cul”. Il m’a dit que j’étais allé à une place qu’il
fallait que je retrouve. Que c’était la place. Que je m’étais
approprié ses parties et que c’était comme si je les avais
faites miennes. J’étais tellement touché de voir que Serge
ne me parlait pas de lui, mais de moi. Je ne me suis jamais
senti jugé dans le processus. J’avais joué la toune de mon
ami et j’ai vécu tout un trip ! »
Serge confie à Normand qu’il est à la recherche d’une
guitare, une Norman B30. Le sous-sol de Brathwaite regorge de guitares, gratifications de son commanditaire Godin.
Normand invite Fiori à descendre et lui en tend une. Serge
en joue et chante quelques lignes de Pour un instant devant Normand, qui réalise soudain que Serge Fiori chante
pour lui tout seul, dans sa demeure. Ému, Brathwaite ne
peut reprendre la guitare. Il la met dans son étui et l’offre à
Serge : « Elle est à toi, man, Serge Fiori vient de jouer dessus, elle ne voudra plus jouer avec moi. Si je la reprends,
elle va se pousser en courant ! »
Quand Fiori accepte la guitare, reconnaissant, il a encore une fois l’allure d’un petit garçon. Brathwaite ne peut
s’empêcher de mesurer l’ironie de la situation. Alors que
lui, il gagne bien sa vie et possède toutes les guitares qu’il
désire, Serge, le guitariste de génie, le musicien qu’il admire, doit économiser pour s’en payer une. C’est avec un
profond plaisir qu’il lui offre cet instrument.
Ému par la situation financière de Fiori, Normand Brathwaite veut faire plus et souhaite l’aider. Comme il anime la
Saint-Jean-Baptiste chaque année, il se dit qu’il pourrait
faire d’une pierre deux coups : aider son ami et faire un
coup d’éclat sur la scène québécoise en présentant l’heptade l’année suivante au grand complet. Au lieu d’engager
soixante-deux artistes, on engage Serge. La société Saint-Jean-Baptiste est enthousiaste à cette idée et accepte que
Normand arrange le tout.
« J’ai dit à Serge : “Écoute, je te jure que tu vas faire beau
coup, beaucoup de sous. Tout ce que tu as à faire, c’est la
répétition générale en après-midi et nous, on va s’occuper
de monter les chansons avec le band de Belle et Bum .” On
lui laissait la possibilité de seulement chanter, s’il le voulait. Il n’avait pas à jouer de la guitare ni à rien préparer.
Et Serge m’a répondu : “Tu veux-tu me faire mourir, Normand ? Je vais mourir si je fais ça !” »
L’événement n’a jamais eu lieu.
La terrasse du restaurant Lou-Nissard, que Serge fréquente en habitué, se trouve derrière la cour de sa maison de la rue Saint-Laurent. Ce restaurant est la propriété
d’un couple niçois, Dominic, le chef, et Josée, l’administratrice de l’entreprise familiale. C’est un endroit sympathique qui attire une clientèle d’épicuriens. Plusieurs artistes s’y retrouvent, notamment Luc Picard et sa conjointe,
Isabelle Richer, qui en sont aussi des habitués. Lorsqu’ils
rencontrent Fiori pour la première fois au Lou-Nissart,
ils sont étonnés, compte tenu du fait qu’ils fréquentent
régulièrement l’établissement, de ne pas s’être rencontrés
plus tôt, d’autant plus qu’ils sont pratiquement voisins.
Luc Picard a toujours été un grand admirateur de Serge
Fiori. Adolescent, il écoutait la musique d’Harmonium,
ébahi par le talent musical de Fiori, qui pouvait jouer de
n’importe quel instrument. Il voyait
Weitere Kostenlose Bücher