Serge Fiori : s'enlever du chemin

Marketa nous invitent tous à Prague   ! C’est lors de ce voyage que s’est déroulée l’anecdote du restaurant pragois racontée plus tôt dans ce livre.

    Nous revenons de Prague plus amoureux que jamais   : ce
fut un voyage de rêve. Le soir du retour, nous nous quittons avec regret, nous promettant de nous revoir dès le
lendemain. Pourtant, le jour suivant, lorsque je téléphone
à Serge, je reçois un bonjour glacial. Je suis prise au dépourvu. Serge m’annonce qu’il a besoin d’une pause. Je
n’y comprends absolument rien. Je suis renversée et si peu
préparée à la chose que je chute dans une dépression que
seuls la sobriété, l’exercice et la prise en charge de ma dépendance affective me permettront de surmonter. Durant
plus d’un mois, je demeure sans nouvelles de lui. Je ne
comprends pas ce qui m’arrive. Je chemine depuis plus de
vingt ans   : comment ai-je pu me perdre ainsi   ?

    L’Effexor, combiné à l’alcool, n’aide pas Serge à faire des
choix lucides et éclairés. Je lui recommande fortement de
voir son médecin pour tenter de se sevrer de ce médicament qui le maintient dans un nuage perpétuel. Il accepte
de consulter et commence un sevrage qui durera six mois.
Parfois, à ses côtés, durant cette période, je le vois souffrir
de sueurs nocturnes, de tremblements et d’angoisses profondes.
    Et pendant que Serge est en sevrage de ce médicament,
un beau et grand projet se présente à lui.
Babine
    Luc Picard réalise son deuxième long métrage, Babine ,
tiré de l’œuvre du conteur Fred Pellerin. Il sait que Serge
Fiori porte en lui la musique de ce film. Comme il sait Fiori
très critique à l’endroit de son propre travail, il désire lui
offrir une occasion de créer en toute liberté, sans se censurer   ; il s’agit d’une occasion d’aller au bout de son potentiel.
L’offre de Picard réjouit Serge, mais les peurs et les doutes
émergent rapidement. Connaissant son ami, Luc lui laisse
le choix de participer ou non au film. Il est parfaitement
libre. Fiori cesse d’hésiter et se lance à pieds joints dans
l’aventure.
    Le long métrage, qui situe l’action dans un univers fantasmagorique et allégorique propre au genre dont il est
issu, raconte l’histoire de Babine, le fils simple d’esprit
d’une guérisseuse surnommée La Sorcière, à qui on attribue tous les malheurs qui s’abattent sur le village de Saint-Élie-de-Caxton. Babine est condamné à mort à la suite de
l’incendie de l’église et ne réussit à fuir le village que pour
échouer dans un cirque ambulant.
    Serge souhaite qu’une musique acoustique accompagne
cet univers onirique. Il se cherche alors un arrangeur pour
apporter une dimension aussi traditionnelle que classique
à cette œuvre au caractère particulier. Il désire apporter une
dimension moderne à ce film, tout en respectant les codes
de la musique traditionnelle   ; il ne veut pas pasticher l’œuvre imaginée par Pellerin ni que sa musique soit trop collée
à celle-ci   ; il souhaite davantage la compléter. Pour faire les
arrangements, il a quelques noms de partenaires potentiels en tête, mais Nathalie Chalifour, qu’il a rencontrée par
l’entremise de Grimaux, lui propose Normand Corbeil, un
compositeur québécois dont elle protège les intérêts. Fiori
ne le connaît pas, mais Nathalie lui explique qu’il a une très
grande carrière   ; c’est l’un des plus grands compositeurs
de musique de films du Québec, des États-Unis et d’Europe. Il a composé la musique de plus de quarante films
et s’est distingué en obtenant un grand nombre de prix.
    Serge décide de l’appeler et les deux hommes organisent une rencontre à l’Excentris. Serge est en sevrage de sa
médication, mais n’a pas pour autant abandonné l’alcool.
Il se rend au rendez-vous à l’heure convenue. Comme Normand est en retard, il a le temps de s’enfiler, en solitaire,
une bouteille de vin. Normand est heureux de rencontrer
Serge   : «   Je n’ai jamais été un fan d’Harmonium. À l’époque, je faisais moi-même partie d’un groupe dont la musique était plutôt jazz et je n’étais pas un grand amateur
de rock progressif. Mais je connaissais l’immense talent de
Serge Fiori. J’ai trouvé Serge tellement simple et tellement
facile d’approche que je me suis dit que ce devait être facile de travailler avec lui. Et notre première rencontre fut
magique.   »
    Dès que les