Serge Fiori : s'enlever du chemin

deux hommes commencent à discuter, Fiori
a l’impression qu’ils se connaissent depuis toujours. Ils
passent la soirée à manger, à boire, à échanger à propos
de la musique et du projet. Pour Serge, tout est réglé   : il se
déclare prêt à faire équipe avec Normand. Ce dernier est
étonné que Fiori ait pris une décision aussi rapidement   :
«   Tu es sûr   ?   » «   Absolument   !   »
    Normand Corbeil n’a pas l’habitude de travailler en
équipe. Ça fait vingt-cinq ans qu’il fait de la musique en
solo et c’est plutôt un loup solitaire. Normalement, il appréhenderait de travailler au quotidien avec quelqu’un,
mais la rencontre avec Serge dissipe ses doutes   : il relève le
défi. Il impose une seule condition   : qu’il n’y ait pas de malentendu en ce qui a trait à la contribution de chacun. Peu
importe qui a fait quoi, le résultat sera le fruit d’un travail
d’équipe qu’ils assumeront ensemble et de façon solidaire.
Cela convient parfaitement à Serge, qui n’en est pas à son
premier travail collectif.
    Serge informe Luc Picard de sa décision. Tout est arrangé
et les séances de composition sont planifiées. Du moins,
celles de Normand, qui se rend très vite compte que Fiori
ne fonctionne pas sur le même fuseau horaire que tout le
monde   : lorsqu’il se présente à leur premier rendez-vous
au studio de Serge, il réalise qu’il va devoir s’ajuster au
mode «   Fiori   », c’est-à-dire commencer la journée autour
de midi et travailler la nuit.
    Fiori n’a pas utilisé son ordinateur depuis des mois.
Ses instruments sont couverts de poussière et il trébuche
sur des boîtes empilées dans son studio. Ça lui prend une
heure seulement pour démarrer sa machine. Normand
semble sceptique et soudain un peu nerveux   : son coup de
cœur pour Fiori va-t-il le conduire à la catastrophe   ? Serge
installe les écrans et le film pour le visionnement, le duo
accorde ses instruments, et le film peut commencer.
    Luc Picard compatit avec Normand Corbeil   : ces problèmes pour s’ajuster à l’horaire de Fiori, il les connaît bien   ;
la plupart des réunions de production de Babine ont lieu
le matin, à une heure où Serge n’est jamais libre. «   Je crois
qu’en vivant de nuit, Serge se coupe d’une part de l’humanité et du travail qu’il pourrait faire. Tout le monde ne
peut se mettre à vivre de nuit, et le monde du cinéma, ce
n’est pas celui de la musique.   » Mais Picard a choisi de laisser libre cours à son ami, de lui donner toute la latitude
dont il a besoin et de le laisser travailler aux heures qui lui
conviennent.
    Aussi Luc se trouve-t-il privilégié d’observer Fiori travailler   : il possède une grande maîtrise de la mélodie, particulièrement en ce qui a trait au blues et au gospel   ; il ratisse
très large. Un jour que les trois hommes sont réunis dans
le studio, Serge travaille sur une mélodie en compagnie de
Normand. La mélodie prend son envol   : c’est bon, mais elle
tombe rapidement. Quand Luc le lui fait remarquer, Serge
acquiesce immédiatement.   : «   C’est vrai, elle devrait plutôt finir comme ça.   » Sur-le-champ, il compose une finale,
comme si de rien n’était. Picard demeure ébahi   : «   C’est
écœurant   !   »
    Normand et lui ont gagné un Jutras avec la musique du
film. Luc est très reconnaissant du mot que Serge Fiori lui
adresse lorsqu’il reçoit son trophée. Il est ému par la loyauté de l’artiste et de l’ami qui exprime sa déception parce
que le grand Luc Picard n’était pas en nomination pour le
prix de la meilleure réalisation.

    La musique du film est prête à être jouée. Serge et Normand ont deux ordinateurs séparés   ; chacun joue dans le
sien et ils se synchronisent ensuite. Ils font des tests de son,
puis Normand demande à Fiori s’il est prêt à commencer.
«   Non, dit Serge, on va commencer demain.
    —
Comment ça, demain   ?
    —
Ben, demain   ; là, j’en ai fait assez   !   »
    Le lendemain, Normand Corbeil se présente un peu
plus tard, soit quinze minutes plus tard que la veille, mais
Fiori a passé une nuit d’enfer. Il a mal dormi, il a trop bu,
et il est vert.
    «   Serge est comme un livre ouvert. Il est ce qu’il est et là
dessus, nous sommes sur la même longueur d’onde. Donc,
on a vite été proches.   »
    Fiori fait jouer le film et sort sa guitare. Il prend un temps
fou