Serge Fiori : s'enlever du chemin
souligner son apport musical, mais refuse chaque
invitation.
Normand Corbeil est satisfait de son expérience aux côtés de Serge Fiori. Il en garde de bons souvenirs : « Ce que
j’ai beaucoup aimé de Serge, c’est que contrairement à bien
des artistes qui se servent de leur notoriété pour se mettre
en valeur dans leur création, ce ne fut pas le cas dans notre association. Serge n’a jamais prétendu en faire plus que
moi ou chercher à avoir l’attention sur lui. Au contraire,
j’étais même choqué de voir qu’il ne se faisait pas suffisamment respecter dans sa vie. Il n’a pas cet ego que l’on
retrouve souvent dans ce milieu. »
La promotion du CD fut catastrophique. Il est inconcevable qu’une seule entrevue ait été proposée au duo : après
tout, il s’agit de Serge Fiori et Normand Corbeil, et la musique de Babine a remporté deux prix ! Mais la compagnie de
disques a choisi de ne pas promouvoir cet album de qualité. Chez Archambault, il y avait bien quatre ou cinq tablettes mettant le disque en évidence, mais chez les autres
disquaires, rien. Qui plus est, les deux musiciens n’ont su
que le jour même de la diffusion du gala qu’ils étaient en
nomination pour un Félix !
Sur la scène, lorsqu’ils prennent possession du prix,
Serge fait un peu d’ironie en affirmant que Normand et lui
sont prêts à faire des épluchettes de blé d’Inde ou des karaokés pour gagner leur vie. La boutade est alors perçue
comme une pointe à l’endroit du milieu cinématographique. Serge en est attristé ; il a simplement tenté d’exprimer
une réalité, d’expliquer combien il est difficile de gagner sa
vie dans ce domaine.
Serge Fiori souhaite créer de nouveau avec son ami Normand : il espère qu’ils se retrouveront pour composer
d’autres musiques pour le cinéma, mais la vie, avec sa
brutalité coutumière, en décide autrement. À l’été 2012,
Corbeil apprendra qu’il est atteint d’un cancer. Après un
courageux combat, son décès survient alors que je rédige
cet ouvrage, le vingt-cinq janvier 2013. Il avait cinquante-six ans. Il laisse un grand vide dans toute la communauté
artistique d’ici et d’ailleurs, et dans le cœur de Fiori. Serge
a été atterré à l’annonce de la nouvelle ; il venait de perdre,
outre un complice musical hors du commun, un ami précieux. Corbeil laisse une œuvre imposante, mais il survivra
aussi dans la tête de ceux qui, comme Fiori, ont eu le bonheur de le côtoyer et de travailler avec lui.
Fiori vit sensiblement le même déchirement avec son
ami Louis Valois, qui a appris, il y a quelque temps, qu’il
était lui aussi atteint d’un cancer, dont il ignore encore
la gravité. Malgré les souffrances qui l’accablent, il a tout
de même généreusement raconté son histoire avec Serge
pour ce livre : « Même si cela n’a pas toujours été le cas,
nous avons une belle complicité, maintenant. Et je privilégie davantage notre amitié que notre rapport professionnel. Harmonium a fait de moi ce que je suis, et de Serge,
ce qu’il est. Et je crois qu’il m’aime beaucoup. J’ai toujours
eu des inquiétudes pour la santé mentale et physique de
Serge. Paradoxalement, c’est moi qui ai des difficultés de
santé aujourd’hui…
« Serge est un musicien incroyable, un inventeur exceptionnel. C’est un être charmant quand tu es dans son clan ;
c’est un gars avec un sens de l’humour assez particulier.
Le genre de personne avec qui tu veux passer du temps et
rigoler.
« Tout ce qu’il touche devient un hit . Que ce soit ses
chansons, ses thèmes – Juste pour rire, par exemple –, il est
toujours “sur la coche”. Son talent est inouï. »
Louis Valois a gardé de Serge, tout au long de ces années
passées à faire de la musique avec lui, l’image d’un leader
né, d’un grand musicien, d’un grand compositeur et d’un
homme au charisme hors du commun. Aussi l’estime-t-il.
Bien que les années et les aléas de la vie aient fait en sorte
que leurs routes se séparent momentanément, leur admiration mutuelle est toujours restée bien vivante, malgré les
tensions et les rivalités.
Fiori s’est enfin affranchi de ses dépendances : l’alcool
et les médicaments – surtout ces derniers – se sont transformés en fantômes du passé. Sobre, il devient un homme
plus posé, plus réfléchi. À travers tout ce processus il est
parvenu,
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