Serge Fiori : s'enlever du chemin
privilégiés qui trouvent leur
place parmi les plus beaux souvenirs de Serge. Ce dernier demeure impressionné par cette facette cachée de la
personnalité de son père, à laquelle sa propre famille n’a
pas accès. Comment peut-il être si charmant, si généreux
– presque missionnaire – envers tous ces gens… et si peu
envers les siens ?
Claire
Non, mon p’tit gars, non
C’est pas de même qu’on s’y prend, non
T’as rien qu’à garder la place qu’on t’a donnée
Non, non, mon p’tit gars
Essaye pas d’bouger, non
Sinon tes voisins vont être désenlignés
Comme
un
fou
Si Serge Fiori passe, avec son père, certains des plus
beaux moments de son enfance et de son adolescence, il
n’en admire pas moins sa mère. Claire Dauphinais est un
personnage complexe. Elle a évolué toute sa vie au sein de
l’univers des apparences, de l’étalage de choses superficielles et de la poudre aux yeux. Elle croyait que le faste
lui conférait de l’importance et un certain statut social. Sa
maison était toujours décorée « nouvelle tendance » et elle
y organisait de nombreux cocktails et réceptions, au cours
desquels elle dévoilait ses nouveaux meubles modernes,
affichait ses couleurs dernier cri, étalait ses vêtements
confectionnés par la tante Christine, des fringues que toutes lui enviaient.
Au cours de son existence, Claire a possédé plusieurs salons de coiffure et a toujours su faire en sorte que sa clientèle
la suive dans les endroits où elle devait aménager. Experte
pour l’Oréal, avant-gardiste dans les coupes de cheveux
qu’elle proposait à ses clientes, elle est rapidement devenue une styliste respectée. Toujours novatrice, elle organisait des défilés de mode et proposait de nouveaux styles
de vêtements et d’accessoires qui lui assuraient l’estime de
son milieu, et l’admiration de ses belles-sœurs, de ses nièces et de ses amies. Maintenir ce train de vie, ainsi que sa
réputation, exigeait d’elle des qualités morales et sociales
solides qu’elle mettait de l’avant : honnêteté irréprochable,
rigueur, sens du devoir et des responsabilités, persévérance
et détermination. Il faut ajouter qu’au sein du couple mal
assorti qu’elle formait avec Georges, ces qualités étaient
non seulement importantes, mais de véritables garanties
de survie !
Maintenant âgée, vivant désormais en CHSLD, Claire
s’illumine toujours lorsqu’elle parle de sa vie passée, de
ses tenues, de ses voitures et de ses salons. Ses meilleures années et ses plus doux souvenirs sont liés à sa carrière
dans la coiffure. Par contre, de son fils et de son mari, il ne
lui reste que peu de souvenirs. Elle raconte bien entendu
quelques anecdotes, mais se remémore surtout qu’elle ne
voulait pas avoir d’enfants, et encore moins un garçon. Rares étaient les femmes de son époque qui ne souhaitaient
pas d’enfants : alors que le boum des naissances battait
son plein, Claire se démarquait des autres femmes par
sa détermination à ne pas enfanter. Encore aujourd’hui,
lorsqu’on lui pose la question, Claire répond avec une
grande désinvolture. Devant Serge, chaque fois troublé,
elle reprend le refrain de toujours : « J’en voulais pas, d’enfants… au moins, si ça avait été une fille. Mais finalement,
avoue-t-elle, je suis fière de ce qu’il a fait. »
Le magnétisme de Georges, combiné à la prestance de
Claire, a fait en sorte que le couple ne passe pas inaperçu.
Il exerçait, sur les foules, une fascination à l’image de celle
engendrée par John et Jackie Kennedy. Les hommes n’en
avaient que pour Claire, toujours si élégamment vêtue, et
les femmes, que pour Georges, véritable Dean Martin ; et,
puisque les deux savaient user de leurs charmes et susciter
le désir, c’est avec une fierté teintée de jalousie et de possessivité qu’ils s’observaient mutuellement évoluer sur la
scène sociale.
Cette image de deux parents marginaux, de deux adultes hors norme, Serge la percevra et l’assimilera plus tard,
quand il rencontrera les parents de ses conquêtes et qu’il
réalisera qu’il n’est pas conventionnel de revêtir, dès le
matin, un smoking ou une robe de designer, comme cela
se faisait couramment chez lui. « Quand j’ai vu les pères
des autres en bedaine, qui mangeaient le repas à la table
de cuisine, en
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