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Serge Fiori : s'enlever du chemin

Serge Fiori : s'enlever du chemin

Titel: Serge Fiori : s'enlever du chemin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louise Thériault
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ses journées
à regarder en boucle des matchs de baseball sur son écran
géant, m’avait parlé du choix qu’elle avait fait de s’isoler, de
se couper de ses relations. Claire ne sortait plus, se faisait
livrer son épicerie, écoutait la télé du matin au soir dans
cet appartement aux rideaux tirés qui transpirait l’ennui
et la solitude. Dans la chambre d’invités s’empilaient des
boîtes qu’elle n’avait jamais pris la peine de déballer depuis qu’elle avait emménagé dans cet endroit, des années
auparavant. J’ai frissonné en face de ce vide qui a fait surgir en moi les fabuleuses paroles de Les vieux, la célèbre
chanson de Brel   : «   Les vieux ne bougent plus, leurs gestes
ont trop de rides, leur monde est trop petit, du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit.   » Il m’a semblé
percevoir le tic-tac de la «   pendule d’argent   », et je me suis
fait la réflexion que cette apparence soignée contrastait
outrageusement avec la vie de solitude que Claire avait
choisie.
    Serge lui téléphonait tous les matins, anxieux et préoccupé par la vie d’ermite dont il essayait désespérément de
l’extirper. La seule autre personne qui tentait parfois de
prendre des nouvelles de Claire était Andrée, la voisine du
dessus. Malgré tout, les efforts de Serge demeurent vains   :
Claire, avec son entêtement légendaire, déclinait toutes
les invitations, autant celles de son fils que celles de ses
anciens partenaires de cartes ou celles de sa belle-sœur et
amie de toujours, Madeleine.
    Il ne lui reste, en cette fin de parcours, que son corps à
orner, à parfumer et à vêtir pour donner un minimum de
sens à sa vie.
Enfance
    Serge Fiori est né le quatre mars 1952, au troisième étage d’un immeuble de la rue Saint-Gérard, dans la Petite
Italie.
    Il a subi beaucoup de remue-ménage au cours des premières années de sa vie. Jusqu’à l’âge de sept ans, il a habité
différents logements de la Petite Italie, toujours à proximité de la grande famille Fiori. De cette période agitée de son
existence, il se souvient surtout d’une succession interminable de déménagements, de l’irruption de nouvelles
gardiennes, du déracinement qu’il vivait lors de ces grands
dérangements, et de l’obligation de se faire de nouveaux
amis. Cette succession de déménagements s’explique par
le fait qu’il s’agissait de l’une de ces trop nombreuses périodes où Georges perdait emploi après emploi et où Claire
devait travailler d’arrache-pied pour ouvrir de nouveaux
salons de coiffure afin de subvenir aux besoins de la famille. À quelques reprises durant ces moments sombres,
Claire a dû confier Serge à sa belle-sœur Madeleine pour
des périodes plus ou moins longues   : elle le ramenait à la
maison quand les affaires reprenaient et que les commerces roulaient mieux.
    De cette période trouble, Serge garde peu de souvenirs,
mais on peut présumer que ces multiples bouleversements
laisseront leur empreinte sur sa personnalité.
    Tout n’était toutefois pas gris durant cette période   ; la
grande famille Fiori organisait de nombreuses fêtes familiales accompagnées de musiques cérémonieuses, de
chansons grivoises et de fous rires. On multipliait les soirées chez le grand-père Giuseppe, longs week-ends de party où les enfants, recouverts de manteaux, dormaient à
quatre ou cinq dans les lits. Le temps semblait s’accélérer
entre les soupers bien arrosés et les cafés du matin. Encore
aujourd’hui, quand Serge entend la musique et les paroles de la chanson Caruso, «   Te voglio bene assai ma tanto,
    tanto, bene sai   », il s’imagine encore dans la cuisine de Giuseppe, immergé dans ses racines italiennes, et chaque fois,
il craque   : «   Je suis fait, fini, ça me tue.   »
    Durant cette période, les fêtes familiales se déroulent
parfois chez Claire, parfois chez Palmira ou encore chez
Frank et sa femme Madeleine, mais elles finissaient presque toujours au lever du jour, entre alcool et café. Le jeune
Serge se révèle fasciné par les adultes. Contrairement à ses
cousins qui s’amusent entre eux, lui s’isole et s’assoit dans
les corridors   ; des soirées durant, il observe cette masse
grouillante qui s’agite et s’amuse. Il y développe tranquillement son talent de rassembleur qu’il manifestera à l’école
et qui

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