Serge Fiori : s'enlever du chemin
influencera son parcours de vie : c’est qu’il ne peut
supporter de voir des enfants jouer seuls. Serge ne tolère
pas la solitude des autres ; il veut plutôt réunir ceux qui
l’entourent, les rassembler, comme au sein d’une famille.
Autour de 1959, la famille Fiori déménage à Pont-Viau,
là où Serge fait l’essentiel de son école primaire et où il
tente de répondre aux attentes exigeantes de sa mère : être
premier de classe, être raisonnable, être « à sa place », travailler sans relâche. Toutes ces attentes vont à l’encontre
de ce que signifie « être un enfant » : jouer, s’amuser, être
insouciant et dépourvu d’esprit de compétition. Il cherche
désespérément, mais en vain, la reconnaissance de cette
mère intransigeante. Il se surpasse, multiplie les efforts
pour réussir et soutirer enfin ce regard de fierté que tout
enfant attend de sa mère, mais il n’obtiendra jamais cette
reconnaissance tant désirée.
Adolescence
Les souvenirs les plus vifs et les plus marquants qui ha
bitent la mémoire de Serge prennent racine dans la maison de Duvernay, où il a vécu la plus grande partie de son
adolescence. À l’image de Claire et de Georges, ce bungalow est tout, sauf conventionnel : il s’agit d’un split-level à
aires ouvertes, ne comptant qu’une seule chambre au rez-de-chaussée.
C’est donc dans un sous-sol sombre, sans fenêtres,
que Serge fera l’expérience de la solitude. Le grand isolement qu’il a connu à cette époque demeure aujourd’hui
une plaie vive : son père absent, sa mère obsédée par son
image et ses activités sociales, sans frères ni sœurs… Il est
laissé à lui-même au sein d’une famille dans laquelle il ne
se reconnaît pas.
Néanmoins, le jeune Fiori réussit tout ce qu’il entre
prend, croyant que c’est ce que sa mère attend de lui : c’est
un enfant sage et obéissant, qui relève avec succès le défi
d’être le premier de sa classe. Comme son anglais est impeccable, c’est lui qui, parfois, corrige ses professeurs.
En 1964, en septième année d’école primaire, Serge fait
la rencontre d’un apprenti musicien, tout comme lui, et ils
se lient aussitôt d’amitié. Réal Desrosiers a un an de plus
que Serge (qui est passé directement de la quatrième à la
sixième année du primaire), mais les deux garçons établissent un lien très puissant, qui perdurera au-delà de leur
scolarité et de leur carrière musicale respective, l’un avec
Harmonium, et l’autre, au sein de Beau Dommage. Au moment de leur rencontre, Serge gratte un peu la guitare et
Réal vient de se fabriquer une « semi-batterie ». À compter
de ce jour, ils feront inlassablement de la musique ensemble – durant les week-ends, lorsqu’au secondaire, ils ne fréquentent plus la même école – et s’offriront même, jeunes
adultes, un voyage culturel en Europe.
Le
neuf
février
1964,
les
deux
amis
font
partie
des
soixante-treize millions de téléspectateurs qui ont les yeux
et les oreilles rivés sur la diffusion du Ed Sullivan Show , où
se produit, pour la première fois en Amérique, le quatuor
britannique des Beatles. Après la prestation mémorable
du groupe, les deux jeunes se regardent et, surexcités, réalisent que quelque chose de majeur vient de se produire
dans leur vie. « Ça a l’air le fun, cette vie-là ! » La graine est
définitivement semée : ils seront musiciens.
Ces années d’école tracent déjà les contours de la personnalité de l’adulte que sera Serge Fiori. Ses qualités de
leadership et de rassembleur, qui en feront l’âme d’Harmonium, émergent à cette époque : prenant la tête d’un
groupe d’élèves qu’il a réuni autour de lui, il monte au front
pour dénoncer les abus des frères maristes du collège qu’il
fréquente. Il persiste, en dépit de sa mère qui lui ordonne de cesser son mouvement de protestation, et demeure
insensible aux lettres virulentes que lui adressent les autorités du collège. Serge Fiori ne conçoit ni n’accepte les
inégalités, pas plus que l’hypocrisie ; il a toujours détesté
l’arrogance des humains, la prétention d’une personne qui
cherche à exercer son pouvoir sur une autre. Devant de tels
abus, il ne pouvait demeurer silencieux ; même s’il se percevait, à l’époque, comme un ti-pout, il donnait
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