Serge Fiori : s'enlever du chemin
les demandes spéciales des convives. Craintif parce qu’impressionné par cette famille prestigieuse, Serge redouble
d’efforts pour apprendre les pièces par cœur et, bien entendu, les jouer juste. À vrai dire, au sein de cette célèbre
famille mafieuse, Serge a vite saisi qu’il valait mieux se
faire apprécier que de déplaire. Lorsqu’un convive glisse
quelques billets dans les poches du veston d’un musicien,
celui-ci a tout intérêt à s’exécuter, et à bien connaître la
chanson !
Serge Fiori relate une anecdote à propos d’un chanteur
engagé par Georges, spécifiquement pour la circonstance,
nouveau venu qui eut le malheur de se montrer un peu
trop prétentieux et suffisant. La scène se passe aux abords
de la piscine, près de la vaste demeure des Cotroni. Massimo, l’assistant de Vic et de Frank, s’avance vers l’orchestre, dépose deux cents dollars sur le lutrin du chanteur et
lui demande d’interpréter telle chanson. Le chanteur fait
alors la moue et répond : « Bof, ça ne me le dit pas vraiment
de chanter ça. » Erreur grossière. Massimo le prend à la fois
par le cou et par le fond de culotte (on se serait cru dans
un film burlesque) et, d’un geste vif et assuré, le balance
de l’autre côté de la clôture. Le musicien fautif chute lourdement dans une fontaine. Serge revoit la scène comme si
elle était projetée au ralenti. Impressionné et intimidé, il
se promet qu’il va apprendre par cœur toutes les tounes du
monde, s’il le faut ! En réalité, il n’a pas vraiment peur des
Cotroni et de leurs acolytes. Il devine que son père et lui
sont dans les bonnes grâces de ces gens ; dans le milieu, ils
sont intouchables
L’épisode du musicien catapulté n’est pourtant pas
qu’anecdotique aux yeux de Serge Fiori : il est à l’origine
de la découverte de l’importance de l’improvisation. Le
musicien réalise alors qu’il a intérêt à posséder un large
répertoire ; il est pourtant impossible de tout connaître.
Par contre, il est important de savoir improviser. Mais
comment fait-on quand on ignore la majorité des accords
d’une pièce ? Fiori sait que si le chanteur entame O sole
mio , il devra l’accompagner, même s’il ne connaît pas les
accords de la pièce ; il se doit d’être trois ou quatre secondes en avance sur le chanteur.
Pour pallier ces lacunes, il se met à improviser avec frénésie. Quand il rentre chez lui, après les spectacles, il écoute des albums entiers qu’il s’efforce de rejouer à l’oreille,
sans toutefois pratiquer les pièces : il s’efforce de réussir
au premier essai. Le plaisir et la grâce d’anticiper et d’improviser sont semés en lui. Ces années d’improvisation par
instinct, de débrouillardise, de musique jouée à l’oreille,
sont fondamentales dans l’édification du Fiori musicien.
Elles constitueront les bases de sa composition, et ce, tout
au long de sa carrière.
Serge adore jouer dans l’orchestre de son père, évoluer
dans ce milieu imprégné de musique romantique et de démesure, où tout le monde mange et boit, où chacun passe
sur scène afin de pousser sa petite chanson grivoise, où les
filles sont belles, et les femmes, chaleureuses. Ce milieu lui
confère une illusion de pouvoir, de toute-puissance. Il jubile quand il voit entrer un propriétaire de salle qui déclare
à la ronde : « Il est deux heures, votre location est terminée », parce que tout le monde se regarde en éclatant de
rire. Et la fête reprend de plus belle. Serge s’imagine alors
exécuter des scènes dignes du film Le parrain . Pourtant, ce
n’est pas comme cela qu’il veut vivre de son art ; bien qu’il
adore ces soirées, il a l’impression qu’il ne cadre pas dans
ce contexte, que sa musique sera autre, qu’artistiquement,
il doit aller plus loin.
Ne pouvant se reposer sur Georges, qui ne fait aucune
différence entre jouer juste et jouer tout court, il ne reçoit
donc aucune formation réelle. C’est seul, chez lui, jouant
d’instinct, que Serge Fiori devient le musicien que l’on
connaît : un autodidacte doué d’un talent hors normes,
fulgurant et inspiré.
Georges, de son côté, s’avoue très fier de son fils. Il représente son sang, sa fierté, son « p’tit Jésus ». On pourrait
ajouter malicieusement qu’il est aussi son passeport pour
la
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