Serge Fiori : s'enlever du chemin
crédibilité ! Alors que le père a choisi la musique par facilité et parce que c’est grisant – il s’agit d’un bon emploi,
pas fatigant, amusant et procurant popularité et notoriété – le fils, lui, se révèle consciencieux. Il veut jouer adéquatement et recherche l’harmonie des accords : il entend
quand ça sonne faux et déteste cela.
Malgré ses modestes moyens financiers, Georges porte
des habits griffés et épate la galerie en sortant des liasses
de billets de ses poches, qu’il distribue de ses mains couvertes de bagues luxueuses. Pour sa part, conscient que
son père néglige de payer les musiciens, Serge se sent très
mal à l’aise devant cet étalage ; coincé entre son intégrité
et sa crainte de froisser son père en s’immisçant dans ses
affaires personnelles, il n’ose intervenir.
Aussi séduisant puisse-t-il être, Georges incarne à la
fois l’ange et le démon. Un verre constamment à la main –
verre qu’il ne boit presque jamais, mais qui lui donne du
style – il charme les gens en usant de son charisme, de son
apparence et de sa voix rauque. D’une certaine façon, Serge rêve de lui ressembler et, pendant des années, il refuse
d’affronter la dure réalité : son père est un magouilleur, un
irresponsable.
Trop souvent, quand il arrive à Georges de remettre à
plus tard le paiement du cachet des musiciens et le remboursement de ses nombreuses dettes, il se retrouve « dans
le rouge », en déficit de plusieurs milliers de dollars. Il se
tourne alors vers Claire qui, à son grand désarroi, doit le
soutenir financièrement. De guerre lasse, elle finit par menacer de le quitter. Lorsqu’elle met finalement sa menace
à exécution, son époux se retrouve dans un petit appartement où il continue de vivre au-dessus de ses moyens.
À la longue, Claire accepte de le laisser revenir vers elle.
C’est qu’elle s’ennuie de cet homme charismatique qui
lui permet d’afficher son propre personnage, celui qu’elle
entretient en elle-même : l’épouse d’un musicien entouré
de gens évoluant dans un milieu où tout n’est qu’apparences. Il a tout de même fière allure, son beau Georges,
surtout lorsqu’il dirige son orchestre lors des soirées mondaines où Claire peut parader, vêtue de ses élégantes robes
confectionnées par sa tante Christine. Si Georges se montre fier de l’autonomie de son épouse, il éprouve tout de
même un certain embarras à admettre ses propres échecs
professionnels.
Oui, Georges possède une aura, un magnétisme indéfinissable et, malgré ses écarts, les gens qui l’entourent – sa
femme, ses amis et ses musiciens – finissent par lui pardonner. Ils tolèrent les retards de paiements, mais en plus,
Georges parvient à les convaincre d’investir dans d’autres
projets, entourloupant les uns comme les autres et se tirant habilement de situations qui auraient pu devenir tragiques.
Pendant que Claire se consacre à son propre travail,
Georges, de son côté, se dévoue à de nobles causes, à des
personnes souffrantes : il joue les ambulanciers quand il
voit un blessé, distribue des pâtisseries aux mendiants.
Serge se complaît dans l’entourage de son père. Il aime
aussi sa mère, la trouve belle et la respecte, mais c’est
auprès de Georges qu’il se sent vivre et qu’il éprouve du
plaisir. Chaque année, à l’approche des fêtes, le père et le
fils se livrent à leur petit rituel : Georges traîne Serge avec
lui toute une journée : ils vont d’abord au cinéma pour voir
un film – Ben-Hur , par exemple – puis, ils déambulent sur
la rue Sainte-Catherine jusqu’au Forum où, lors d’un autre
match endiablé, leur idole, Maurice Richard, soulève la
foule. Après la partie, ils prennent une bouchée au Texan,
toujours rue Sainte-Catherine, avant d’aller, une fois encore, au cinéma, à la fin de la soirée ! Après ce second film,
parce que la nuit n’est toujours pas terminée, ils marchent
encore un peu dans le froid de décembre, puis Georges invite trois ou quatre itinérants, croisés au hasard du chemin, à les accompagner pour aller manger chez Dunn’s.
Les adultes discutent une heure ou deux des choses de la
vie, sous l’œil fier et admiratif de l’enfant, puis leurs chemins se séparent.
Ce sont de beaux et longs instants d’intimité entre le
père et le fils, des moments
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