Serge Fiori : s'enlever du chemin
famille, j’ai tout de suite su que je ne serais
jamais un comptable agréé. »
Claire, que son monde tout en apparences accapare au
plus haut point, se révélait peu douée pour la réflexion et
l’affection. Ce désintérêt à l’égard des autres, et notamment à l’endroit de son fils unique, n’a jamais été le fruit
des circonstances particulières de son existence ; ce désintérêt n’était pas non plus mis sur le compte de son âge ou
de sa condition. D’aussi loin que son entourage puisse se
remémorer, elle a toujours éprouvé une vague indifférence
à l’endroit de l’existence des autres. Cela se manifeste dans
l’anecdote qui suit, et qui est relatée par Serge Fiori lui-même.
« C’est quand elle a emménagé avec nous, en 2010, que
j’ai réalisé à quel point elle se désintéressait de moi. Que je
rentre tous les jours dans sa chambre ou non, que je sois
auprès d’elle ou pas, aucune différence, aucun intérêt.
Elle est isolée dans ma maison. Un jour que j’étais parti en
week-end à Québec et que j’avais pris la peine de la préparer à mon départ, je l’appelle dès la première journée
là-bas. Voici à peu près notre conversation :
—
Allo, m’man !
—
Allo, t’es-tu là ? (Elle pensait qu’il était dans la maison.)
—
Ben non, voyons, m’man, je suis à Québec !
—
Ah oui ?
—
D’où est-ce que tu penses que je t’appelle ? Je ne t’appelle certainement pas de la cuisine, crisse !
—
Ah oui ? Ah, je pensais que t’étais en bas…
—
Et je t’appellerais au téléphone ?
—
Ben, oui.
—
( Sur le ton de la rigolade. ) Heu, bon ben, O.K., bye !
—
Ah ! mais attends ! Je m’ennuie tellement !
—
De quoi ? Heu, j’étais là, dans ta chambre, hier soir…
Tu m’as même pas regardé ! Tu t’ennuies de quoi au juste ?
—
Si tu savais, mon fils… Quand est-ce que tu t’en viens, là ?
—
Après-demain.
—
Ah ben ! J’en reviens pas !
Deux jours plus tard, j’arrive avec ma valise, je m’en vais directement dans sa chambre :
—
Allo, m’man, j’suis revenu !
—
Ah oui ? O.K. T’étais où ?
—
J’arrive de Québec. Je suis allé voir ma blonde.
—
Ah oui, t’as une blonde ? »
Au moment où nous avons amorcé la rédaction de ce
portrait de Claire, elle habitait encore avec Marie-Claire et
Serge dans le duplex qu’ils avaient acheté ensemble l’année
précédente. Claire possédait sa chambre au rez-de-chaussée de cette maison lumineuse, où les fenêtres abondent et
où le décor d’inspiration indienne plonge le visiteur dans
une atmosphère exotique, chaleureuse et reposante.
Marie-Claire et Serge occupaient les deux chambres du
sous-sol, à proximité du studio-salle de cinéma, qui occupait une grande pièce adjacente, tout aussi ensoleillée que
les pièces du rez-de-chaussée.
Toujours fatiguée, ayant choisi volontairement de s’isoler, Claire ne se montrait alors qu’en de très rares occasions. Parfois, elle revêtait une belle robe noire, portait
bagues et colliers et se joignait à Serge, à Marie-Claire et
à leurs invités, le temps d’un repas. Elle répétait toujours
les mêmes anecdotes relatives à sa vie sociale d’avant, du
temps où elle avait des salons et paradait en société. Elle
ne s’intéressait aux activités de personne et ne participait
pas aux conversations à la table, se contentant en vain de
terminer son repas, sous l’insistance de tous.
La première fois que je l’ai rencontrée, quelques années
avant qu’elle s’installe avec son fils et Marie-Claire, elle habitait un condo de deux chambres situé sur la rue Quinn,
à Longueuil. Je me souviens d’avoir été impressionnée par
sa coquetterie. Serge et moi marchions et avions décidé
lui rendre visite de façon impromptue. J’étais un peu mal
à l’aise d’arriver sans que nous nous soyons annoncés et
je m’attendais à la découvrir un peu embarrassée par notre visite à l’improviste. Quelle ne fut pas ma surprise de
la trouver coiffée et maquillée, vêtue d’une longue robe
noire, arborant ses bijoux et affichant un sourire digne de
Joan Collins dans la série Dynastie ! Pourtant, Serge m’avait
décrit la solitude dans laquelle sa mère s’était enfermée au
cours des dernières années. Il m’avait dépeint
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