Serge Fiori : s'enlever du chemin
la femme
et l’amour ; il voulait surtout éviter de vivre ce que ses parents, ses seuls modèles en la matière, avaient vécu. Tout
cela fait en sorte que, la plupart du temps, il déserte Danielle, ne s’engage pas tout à fait et garde continuellement
une carte dans sa manche, un atout, un permis de passer
rapidement à autre chose. Aujourd’hui, il se juge sévèrement à propos de cette relation, il estime n’avoir pas été
assez gentil et attentionné ; il aurait dû être amoureux pardessus la tête et pourtant, il pataugeait, regardait ailleurs,
tout en faisant du surplace, un scénario qui va se répéter
tout au long de sa vie amoureuse.
Danielle, de son côté, perçoit les choses autrement. Elle
était éperdument amoureuse de ce bel adolescent qui, le
soir, l’amenait assister aux spectacles du band de Georges ;
le jeune Fiori était vêtu d’un smoking, et elle, de sa plus
belle robe, ou alors il l’entraînait à la discothèque pour
la faire danser. Ce sont deux années et demie qui restent,
dans sa mémoire, douces, faciles, simples et sans disputes.
Elle a apprécié la compagnie de Serge, a beaucoup aimé
sa gentillesse, sa sensibilité et son attention. C’est tout le
contraire du souvenir de Serge, qui a gardé l’impression de
n’avoir pas été l’amoureux qu’il aurait dû être pour Danielle. Simple question de perspective, plus de quarante ans
après les faits.
Danielle se souvient des sorties au cinéma : Serge aimait
Voir des comédies, avec Jerry Lewis ou Louis de Funès, mais
aussi des films d’amour, comme Love Story. Lorsque Serge
jouait avec le band de Georges, elle avait la permission d’y
aller, puisque les parents de Serge y étaient présents, sinon son père seulement. Comme tous les adolescents de
banlieue, ils fréquentaient le centre commercial où ils paradaient, bras dessus bras dessous, sirotant un grape chez
Woolworth et mangeant des frites-sauce dans leur restaurant préféré, Le Marquis. Danielle se souvient que Serge,
attiré par les personnes âgées et sensible à leur sagesse,
s’arrêtait parfois pour les prendre en photo.
En 1968, à l’âge de seize ans, Serge produit un premier
45 tours avec les Comtes Harbourg, un groupe qu’il a formé
avec des amis et pour lequel il compose du matériel original, une sorte de rythm and blues mêlé de pop rock, inspiré
des Yardbirds et des Kinks de l’époque. Ils l’enregistrent
dans le studio de Tony Roman, un chanteur que Georges
connaît bien et auquel il a présenté ses amis. Un côté du
petit vinyle comporte une pièce extrêmement profonde
et sérieuse, intitulée L’Humanité, dont les paroles ont été
écrites par Claude Meunier, et la musique, composée par
Serge ; sur l’autre, on retrouve une chanson plus légère, La
fille du couvent .
Au cours de la même session d’enregistrement chez
Tony Roman, Georges Fiori, en compagnie d’une chanteuse qu’il engage parfois dans son groupe, enregistre lui aussi un disque. Il s’agit d’une production pour le temps des
fêtes, intitulée La dinde de Noël. La chanteuse a beau faire
son possible, la seule voix qu’on entend distinctement sur
l’enregistrement et qui se distingue de toutes les autres est
celle de Serge qui agissait comme choriste sur cet album
de son père. « Glou, glou, glou, glou… je suis la dinde de
Noël » chante avec cœur et enthousiasme le jeune Fiori.
À la même époque, à Télé-Métropole, Jacques Duval
animait une émission de télévision intitulée Le cimetière
du disque , production au cours de laquelle il commentait les récentes parutions musicales et les classait selon
leur qualité. Les 45 tours et les microsillons jugés les plus
médiocres étaient détruits, lancés contre les murs et jetés
dans un incinérateur. Le dimanche matin de la diffusion
de l’émission, Serge et son père sont rivés au petit écran :
ils savent que Jacques Duval va parler de leur disque ! Or,
ce matin-là, parmi la centaine de disques reçus, Jacques
Duval (qui ignore qu’il s’agit des disques du père et du fils)
n’en malmène et n’en détruit que deux : La dinde de Noël et l’album des Comtes Harbourg. Vociférant, il les brise,
les lance, puis les jette dans son incinérateur d’où jaillissent les flammes destructrices : ceux-là ne passent pas la
rampe !
Serge Fiori est
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