Serge Fiori : s'enlever du chemin
un texte que Serge apprécie particulièrement. Celui-ci l’entend très bien, tente de
répondre à la pauvre fille, de parler, de crier de nouveau,
deux fois, trois fois : ses efforts demeurent inutiles. Fiori se
persuade alors qu’il est bel et bien mort.
À ce moment précis, le jeune homme vit une expérience
inouïe, transcendante, événement qu’il mettra plus tard
en mots et en musique dans l’album l’heptade : l’exploration de sa colonne vertébrale. Tandis que s’éloignent doucement les mots que son amie murmure à son oreille, il
visualise les sept chakras, avec leurs couleurs exactes : le
rouge, l’orange, le jaune, le bleu ciel, le vert, l’indigo et le
mauve, ainsi que leur forme en spirale. Il perçoit tous les
attributs liés aux différents chakras. Le premier, associé à
la survie, à la famille, à la tribu. Le second, lié à la sexualité. Le troisième, au pouvoir. Et il en va de même pour les
autres chakras. À chaque couleur qui s’impose à lui se superposent des événements de son existence, liés à ces différents chakras.
Brusquement, il bascule dans son état précédent, ce
noir total à travers lequel percent de nouveau les sons,
la voix de son amie, celles des autres qui paniquent, qui
discutent, qui tergiversent, qui ont peur que Serge soit
en train de mourir. Il entend même le pusher, cette vague
connaissance de Laval, qui refuse d’aller chercher de l’aide
de peur de se faire prendre, sinon de se faire arrêter, et qui
va même jusqu’à verrouiller la porte ! Cet épisode, ce flou,
cette indécision, cette angoisse, tout cela a duré des heures. Dans la pièce où on l’a étendu se trouve une autre étudiante – Johanne – que Serge connaît vaguement et qui lui
fait un peu peur : sombre, d’allure gothique, elle parle peu
et traîne avec elle une aura ténébreuse. C’est elle qui met
fin à tout ce cirque autour de Serge : elle le soulève, l’appuie sur son épaule, déverrouille la porte, sort du local et
le traîne à l’extérieur du collège où elle le projette sans ménagement sur un banc de neige ! Serge revient enfin à lui :
il n’est ni intact ni indemne, mais du moins, il est réveillé. Il
se retrouve seul en compagnie de l’étrange fille : les autres
se sont tous enfuis.
Elle le ramène chez elle, dans un sous-sol de bungalow qui aurait pu être l’antre d’un vampire, un lieu sombre et
vaguement effrayant. Si Serge a peur, il constate qu’elle
s’occupe pourtant de lui avec sollicitude. Familière avec
cet état que Serge traverse, elle peut l’y rejoindre et l’accompagner sans crainte. Elle l’apaise enfin et tout va bien,
mais la victime du bad trip commence à réaliser cet état
surréel qu’il devra affronter toute sa vie : il a physiquement
réintégré son corps, voit et perçoit ce qui l’entoure, entend
correctement, mais tout semble nimbé de brume. L’univers
lui apparaît tellement irréel qu’il se dit : « Les fils se sont
vraiment touchés dans mon cerveau et je suis tombé dans
un état physique transformé, et rien ne sera plus jamais
pareil. » Il n’existe plus dans la réalité qui lui est familière ;
il a les deux pieds dans l’étrange, l’absurde, comme le décrivent Camus et Vian, des auteurs qu’il a lus récemment.
Comment, dès lors, retrouver une vie normale ? Serge Fiori conserve l’impression d’être passé d’un pôle à l’autre,
d’avoir perforé la planète, d’avoir traversé, en un instant,
le temps et l’espace ; il a perdu ses repères, a pénétré une
autre dimension.
Un peu plus tard, le garçon se retrouve dans l’autobus
pour se rendre chez sa mère, boulevard Henri-Bourassa ;
c’est à une heure de l’endroit où il se trouve. Durant le trajet, l’autobus se transforme en cet infernal corridor qui le
terrifie ; Serge ne sait plus quoi faire et appréhende une
autre crise majeure. Lorsqu’il parvient finalement à l’appartement, il est seul ; Claire est partie en Floride. Tout a
changé pour lui. Il est certain de ne pas être normal, sûr de
flirter avec une folie qui ne demande qu’à s’emparer de lui.
Il sait qu’il doit aller à l’hôpital, mais craint de le faire.
En attendant le retour à la normalité, Serge demeure
cloîtré chez lui : il s’isole de plus en plus du reste du monde. Abandonné par ses amis
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