Serge Fiori : s'enlever du chemin
matin-là,
dans le local de la radio du cégep, au bout de ses interminables corridors, la vie de Serge Fiori va basculer : l’effet
dévastateur de la drogue le frappe de plein fouet ! C’est un
véritable mur qui s’écroule sur lui. L’écho de cette chute
dans le vide résonne encore en lui quand, quarante ans
plus tard, au cours de séances d’hypnose, il tente de recoller les bouts de vie éparpillés par cette expérience traumatisante.
Assis devant les instruments de la radio, Serge perd
d’abord la vue. Il ne voit plus que la console qui se détache d’un arrière-plan flou. La panique le gagne : ce qu’il
éprouve, jamais auparavant il ne l’a ressenti. Il se sent au
bord de la crise de nerfs, son sang cogne dans sa tête, son
environnement demeure vague et lui apparaît insupportable. Il réalise qu’il fait un bad trip, il le sait et tente de se
raisonner, mais c’est peine perdue. Il croit devenir fou, il
manque d’air ; la console flotte toujours, là, sous ses yeux,
et Serge sent monter en lui, en même temps qu’une indicible anxiété, une paranoïa sans nom. Sortir, sortir de là,
de ce local étouffant, tout de suite ! Ce besoin impérieux
le fait se lever, son cœur bat à tout rompre, son champ de
vision reste flou, et il sort du local de la radio étudiante en
courant comme un dératé.
Sous les regards stupéfaits de ses amis qui tentent de l’intercepter et de le raisonner, il zigzague dans l’interminable
corridor et tente de s’agripper aux portes pour arrêter sa
course ; Fiori n’entend plus rien ni personne. Les affiches,
la teinte des murs, tout se mélange dans un tourbillon de
couleurs qui semblent animées d’une vie propre, qui font
onduler les parois qui l’étouffent. Alors qu’il est au bord de
l’abîme, désorienté, terrorisé, surgit enfin un moment de
répit : l’espace de quelques secondes, les murs retrouvent
leur forme régulière, les couleurs se précisent, les visages
ahuris de ses amis redeviennent identifiables, son souffle
s’apaise. Mais ce repos n’est que de courte durée. Serge
sent renaître la vague qui grandit en lui ; elle se soulève, déferle et le submerge de nouveau. Terrorisé, il repart en sens
contraire, reprend sa course folle et tout recommence : les
murs difformes, les couleurs mouvantes, les visages déformés, la peur, l’anxiété, la paranoïa. C’est à la porte du petit
local de la radio qu’il finit par s’écrouler, inconscient.
Quand il revient à lui, ou plutôt quand une partie de sa
personnalité renoue avec la réalité, il entend chuchoter : « Fuck, il a pété une coche !
—
Qu’est-ce qu’on fait ?
—
On peut pas aller chercher de l’aide en haut, on va se faire arrêter ! »
C’est tout ce que Serge parvient à saisir avant de replonger, de sortir littéralement de son corps. Il se souvient avoir
lu quelque part que lorsque quelqu’un meurt, il se dégage
ainsi de son corps et flotte au-dessus de ce dernier, d’où il
peut tout observer. Il est convaincu qu’il vient de mourir
ou alors, qu’il est en train de le faire. Il se perçoit à l’extérieur de son corps, là-haut, au plafond de ce long corridor
du cégep, et il voit ses amis tout autour de lui qui le brassent, le bousculent, l’aspergent d’eau. Fiori pense alors
qu’en criant, il va se réveiller ; il hurle qu’il les entend, qu’il
est là… Mais chaque fois qu’il tente d’intervenir, il réintègre aussitôt son corps, comme aspiré, et tout s’obscurcit
dans son esprit. Il sent qu’il a sombré dans un état d’inconscience, que son corps est paralysé, comme s’il était attaché. Pourtant, ça vit à l’intérieur, il le sait : il monopolise
encore une fois toute son énergie afin de hurler, mais ses
lèvres refusent de bouger et aucun son ne parvient à sortir.
Le musicien n’a plus de contrôle sur son organisme.
Finalement, deux étudiants le soulèvent, le traînent dans
une petite pièce et l’étendent sur un sofa avant de repartir
à la recherche de personnes qui connaissent bien Serge :
ils préviennent Réal Desrosiers, son grand ami, ainsi que
deux filles que Serge aime bien. L’une lui soulève la tête, la
pose sur ses genoux et lui murmure des propos rassurants
à l’oreille. Elle lui récite un poème, un texte appris par
cœur dans le cadre d’un cours,
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