Serge Fiori : s'enlever du chemin
les
allures d’un palace. Il adore son nouveau mode de vie :
avec Michel, Serge se sent libre. Il sort jusqu’à très tard le
soir, il dort durant la matinée, va de spectacle en spectacle, philosophe avec ses amis, refait le monde, fréquente
les cinémas et les théâtres. Le sens de l’humour absurde
qu’il développe avec son colocataire, grâce à la présence
d’un Claude Meunier qui, bien que parti, continue de fréquenter l’appartement tous les jours, concourt à cette atmosphère dénuée de limites qui les propulse et les fait disserter, discuter, rire et créer jusqu’au petit matin. Serge se
sent comblé et rempli d’énergie : Michel représente le frère
qu’il n’a jamais eu et Fiori s’attache profondément à lui.
Si Michel possède bien quelques notions de guitare,
c’est avec Serge qu’il découvre son instrument. Ce dernier
l’initie, lui enseigne les rudiments de la guitare, et ce, plusieurs heures par jour. Inlassablement, ils jouent et répètent ensemble : Michel fait des progrès importants, mais il
devient vite manifeste qu’il n’a ni le talent ni la facilité de
Serge Fiori. Toutefois, les deux hommes s’amusent ferme
et rien ne peut entraver leurs projets : ils découvrent des
horizons jusque-là insoupçonnés et redoublent d’ardeur.
Le duo commence à obtenir quelques petits contrats,
dont quelques prestations dans des bars, mais c’est surtout une commande de Paul Tietolman, du poste de radio
montréalais CKVL, qui a mis la main sur vingt-cinq bandes
studio originales des Beatles, bandes provenant de la BBC,
qui les intéresse. Il souhaite qu’elles soient éditées en format d’une heure, afin de les présenter aux auditeurs de la
station. C’est une formidable chance pour Serge et Michel,
amateurs, comme on le sait, du quatuor britannique. Un
immense privilège, aussi, que de travailler avec du matériel
inédit, jamais entendu, de leurs idoles ! Des heures durant,
ils écoutent les bandes et procèdent au formatage de celles-ci ; ce seront des moments grandioses et exaltants, qui
sont tout à fait dans la veine des ambitions de Serge, qui
espère devenir ingénieur du son.
De son côté, Serge joue parfois de la guitare électrique
dans des clubs de danseuses afin de gagner un peu d’argent. C’est une expérience qui n’est pas toujours facile,
souvent même déplaisante. Un soir, entre autres, Fiori joue
du Santana dans un bar de striptease de la rue Sainte-Catherine : un magicien y partage la scène avec une danseuse
sur le déclin, une effeuilleuse qui n’a plus rien pour susciter le désir des hommes, quand ceux-ci, ivres et plutôt rustres, entreprennent de lui lancer des restes de sandwiches.
Humiliée, la danseuse se retire sous les huées, couverte de
jambon. Un souvenir prégnant pour Serge, qui a eu pitié
de la pauvre femme ; une scène à la fois burlesque, surréaliste et triste à pleurer.
En compagnie de l’orchestre de son père, il accompagne
parfois Les Jérolas, ou encore, vêtu du costume traditionnel, il interprète, toujours avec Georges, des chansons bavaroises ! Mille et une petites prestations dans des lieux et
des circonstances hétéroclites, mais au moins, il fait de la
musique. Tout cela participe à sa formation de musicien.
La relation entre Lucie et Serge est maintenant bien en
gagée. Elle est de plus en plus présente à l’appartement et,
déjà, son rapport avec Michel Normandeau s’avère tendu ;
c’est qu’elle perçoit quelque chose de malsain dans la relation fusionnelle qui unit Serge et Michel, ce qui instaure
un malaise.
En ce qui le concerne, même s’il éprouve une grande liberté, un grand plaisir à jouer avec son ami Michel, Serge
n’envisage pas encore sérieusement de faire de la musique,
du moins, il n’a pas l’intention d’en faire son véritable métier. Peut-être pourra-t-il gagner honorablement sa vie en
exécutant des petits contrats ici et là, mais il ne songe pas
à former un groupe dans le but de percer, encore moins
une formation dont il serait la tête d’affiche, le leader. Il ne
connaît alors rien de sa voix, de son registre étendu ; elle
ne lui a servi, jusqu’à présent, qu’à dépanner un père dont
le band souffrait de lourdes carences artistiques. Ce n’est
que plus tard, plusieurs mois après son voyage en Europe – son pèlerinage de groupies –, que Serge commence à
réfléchir à sa voix et
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