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Serge Fiori : s'enlever du chemin

Serge Fiori : s'enlever du chemin

Titel: Serge Fiori : s'enlever du chemin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louise Thériault
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d’elle-même,
simple et naturelle   : la transe. Voilà un mot qui comporte
son lot de préjugés   ! Il ne s’agit pas ici de transe vaudou ou
d’une quelconque mise en état ésotérique, mais bien de
la répétition d’un mantra qui ne peut qu’aboutir à l’émergence d’un son, d’un vocable ou d’une musique que rien
d’autre, sur le plan conscient, n’aurait su faire jaillir. Pour
y aboutir, Serge Fiori prend un échantillon de la musique
qu’il a déjà en tête – l’intro, par exemple – et il le joue et le
rejoue des centaines de fois. Inlassablement, il reprend la
même phrase musicale, jusqu’à ce que ses doigts glissent
seuls sur la guitare, que son intellect se soit endormi et
que, les yeux clos, il se laisse guider par cette musique devenue aussi répétitive qu’automatique. Alors, seulement,
il commence à émettre des sons. Uniquement des sonorités. Pas de texte, pas d’interférence de la raison. Il module
différents sons tout en répétant, à la façon d’un mantra,
les accords devenus familiers. Il fait des bruits de bouche,
émet des sons inintelligibles, et déjà, la chanson prend vie,
parce que dans sa tête, tout se dessine   : la chanson, son
propos, ses personnages, sa finalité. Il ne cesse de jouer les
accords, encore et encore, et d’émettre de nouvelles sonorités, encore et toujours. Soudainement, au cœur de cette
répétition sonore et mélodique, les accords se précisent et
la chanson s’écrit d’elle-même   : le texte et la musique se
rencontrent, nés de la même improvisation.
    Donnons un exemple. Aurait-il voulu exprimer, dans un
texte écrit au préalable et respectant tous les codes du genre, que l’amour peut rendre fou   ? Jamais, dit-il, il n’aurait
écrit textuellement «   C’est toujours pour l’amour qu’on
devient fou   ». Il aurait plutôt développé son idée plus longuement, à l’aide de mots différents, et la chanson n’aurait
jamais été ce magnifique texte qu’est Pour un sage . La répétition de la syllabe ou, dans toujours , pour , amour et fou, confère à la chanson un caractère universel   : elle pourra
résonner tout aussi bien en anglais qu’en allemand, grâce
à la musicalité induite par le travail de transe et d’abandon. Il en est de même avec Aujourd’hui je dis bonjour à la
vie . Les deux premières strophes de la chanson ont surgi,
harmonieuses et musicales, après des heures d’inlassable
répétition des quatre premiers accords. «   Et l’attente, qui
m’avait si bien prédit, où tout est mort et presque rien n’est
dit.   » La musicalité de cette phrase nourrit la musique, et
la musique supporte à son tour l’écriture, de sorte que si
l’artiste ne s’interrompt pas, qu’il persévère et persiste à
répéter les accords et à émettre des sons à la façon d’un
mantra, presque inévitablement, le miracle se produira et
jailliront simultanément paroles et musique   ; parfois, c’est
une partie de la chanson et, à d’autres occasions, c’est l’ensemble de l’œuvre qui naît spontanément grâce à cet état de
transe et à cette ouverture à l’improvisation, tant musicale
qu’écrite. Quand surgissent ces deux lignes – «   Et l’attente,
qui m’avait si bien prédit, où tout est mort et presque rien
n’est dit   » –, Serge demeure ébahi, abasourdi. Jamais, jure-t-il, il n’aurait pu écrire une phrase pareille ni une musique
aussi forte. Même chose avec Comme un sage   : qui aurait
cru, et lui encore moins que tout autre, qu’il puisse un jour
composer une mélodie aussi classique   !
    On ne peut se lever un matin et se dire   : «   Tiens, il fait
beau aujourd’hui   ; je vais écrire un thème classique, d’un
très grand et très beau lyrisme…   » Bien sûr que non, sauf
qu’un musicien de talent comme Fiori, qui maîtrise parfaitement ses bases musicales et accepte d’entrer en transe, de répéter un mantra sans relâche et qui s’autorise à
fermer les yeux et à jouer et à rejouer inlassablement les
mêmes notes, à moduler et à fredonner des sons apparemment sans liens, jusqu’à l’écœurement, risque bien de
produire l’étincelle qui embrase le feu de sa créativité. Un
peu à l’image du coureur chez qui surgit, après quelques
kilomètres, un «   deuxième souffle   », le musicien sent soudainement monter en lui une énergie nouvelle, après quelques heures de

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