Serge Fiori : s'enlever du chemin

milliers de fois, jusqu’à l’écœurement. Cette
interminable répétition les amène au lâcher-prise qui fait
soudainement paraître le geste répété d’un naturel sublime et émouvant. État de grâce dans le mouvement fluide
et beau.   »
    Serge est plus jeune que le reste de la bande, puisqu’il
a sauté des classes. Mais sa volonté de s’intégrer au groupe, son immense talent, son humour et sa détermination
ont vite fait de gommer cette différence, et avec Meunier,
Saïa, Rivard et Desrosiers, ils parlent de tout   : de sport, de
culture, de musique, de théâtre et de poésie. Serge ignore
encore la tangente que prendra sa propre carrière, mais il
sait avec certitude que chacun des membres de ce groupe
est promis à un bel avenir. Chaque fois qu’il entend Meunier délirer, chaque fois qu’il joue avec Desrosiers, chaque
fois qu’il voit Rivard avec la Quenouille bleue – qui a aussi
compté Serge Thériault et Gabriel Arcand parmi ses membres –, chaque fois qu’il échange avec Saïa sur l’écriture et
la mise en scène, sa certitude que chacun exploitera plus
tard son potentiel et fera sa marque se renforce. L’avenir lui
donnera raison   : Meunier et Thériault sont devenus Paul et
Paul, puis Ding et Dong   ; l’auteur de génie de la P’tite vie a marqué d’une croix l’humour québécois et littéralement
inventé l’absurde. Desrosiers et Rivard vont fonder Beau
Dommage, un groupe qui a marqué toute une génération.
Saïa est devenu l’auteur et le réalisateur que l’on connaît et
lui-même, Serge Fiori, fondera le mythique groupe Harmonium. Chacun reconnaissait en l’autre le potentiel formidable qui l’habitait. Duvernay était définitivement, au
début des années 1970, un terreau fertile   ! Une partie de la
vie culturelle «   montréalaise   » se passait bel et bien en banlieue. Chacun de ces artistes, à sa façon, a d’ailleurs célébré
la banlieue dans son œuvre   ; elle les a inspirés, a fait d’eux
ce qu’ils sont, et leur a servi de creuset artistique. Cette effervescence culturelle n’émane toutefois pas que du groupe d’amis, elle bouillonne partout et, grâce à des esprits
éclairés, ouvre toute grande la porte du monde aux Québécois. Serge se souvient notamment d’un prof de cinéma
qui habitait Saint-Vincent-de-Paul, au bord de la rivière
des Prairies. Chaque week-end, il ouvrait la porte d’une
immense remise, sorte de grand garage, et accueillait des
dizaines de jeunes pour qui il projetait, avant de les laisser
en débattre, des films de répertoire. Il s’agissait d’œuvres
parfois obscures de maîtres inconnus, de longs métrages
allemands ou suédois, en noir et blanc et sous-titrés. La
curiosité et la soif d’apprendre du jeune Fiori sont ainsi attisées.

    Même si la session universitaire est déjà entamée, Serge
et Réal continuent à jouer les soirs et les week-ends, parfois pour le Ballroom Orchestra de Georges, alors que Réal
remplace le batteur, et que Serge performe à la guitare. Par
la suite, ayant acquis une certaine notoriété, ils reçoivent
des demandes particulières, comme celle de Robert Morissette, qui dirige une pièce de théâtre au Collège de Bois-de-Boulogne, et qui offre à Serge d’écrire les pièces instrumentales pour la chorégraphie, des pièces qu’ils devront
ensuite jouer lors des représentations.
    Plus Serge développe sa passion pour la musique, plus il
se désintéresse des études. Après un parcours collégial en
animation culturelle, il entreprendra des études universitaires à l’UQÀM, toujours au sein de la même discipline,
mais encore là – puisque c’est un oiseau de nuit – la vie
étudiante ne lui convient plus du tout et il abandonne définitivement les études.
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    1 Il s’agit d’un rite initiatique juif.
    2 C’est ainsi qu’on appelait, péjorativement, les Italiens d’origine, dans les an nées 1950 et 1960.

 
     
     
    CHAPITRE 2
Harmonium
    Claire ne se rend même pas compte que son fils a quitté
l’université, mais ce qu’elle sait, en revanche, c’est qu’elle
ne souhaite pas qu’il embrasse une carrière de musicien
comme celle de son mari   ; elle n’éprouve, à l’égard de cette
profession, que du mépris. Progressivement, Serge s’affranchit d’elle et s’en éloigne. Désormais libéré des carcans maternel et scolaire, il peut passer le plus clair de