Serge Fiori : s'enlever du chemin
à expérimenter ses possibilités et ses
limites. « Quand j’ai commencé à chanter de ma voix de
tête, c’est parce que je n’avais pas assez de place dans la
mélodie pour faire juste les trois octaves normales d’un
gars. Alors, j’ai continué pour que le son puisse changer,
pour que ce soit le même volume. Je me suis retrouvé avec
deux octaves de plus en voix de tête, non pas parce que
je suis bon, mais parce que j’en avais besoin, c’était une
nécessité. Je le faisais sans y penser. Quand tu es vraiment
en transe et que tu chantes, tu montes, tu montes, et à un
certain moment, tu te dis que tu ne pourras pas chanter la
note, ou que le band n’arrivera pas à la jouer. Ton rationnel
te dit que tu ne peux pas monter si haut, puisque t’es un
gars, mais comme tu es dans un mode où tu n’es plus toi,
tu deviens une fille ! Et ça se fait tout seul. »
La première fois que Serge a essayé une flûte traversière,
il a demandé où était la note la plus aiguë. Il ne s’inquiétait
pas pour les notes basses : il savait qu’il allait les trouver.
C’est aux notes du haut qu’il veut accéder. Il apprend alors
que la plus haute note de cet instrument est un si bémol et
c’est tout ce qui importe à ses yeux.
À force de jouer du matin au soir, Fiori commence à se
sentir inspiré. Il écoute en boucle l’album Soleil de Jean-Pierre Ferland, une œuvre magistrale à ses yeux. Touché
au cœur, il veut lui aussi composer ; désormais, la passion
d’écrire l’habite et le démange en permanence. Il sent qu’il
a des choses à dire et il commence à écrire et à composer
sérieusement.
C’est en enseignant la guitare à Michel Normandeau,
tandis que celui-ci répète en boucle les accords que lui a
montrés Serge, que lui-même se met à improviser sur sa
guitare à douze cordes. La douze cordes a donné à Fiori un
son unique, qui sera une de ses marques de commerce tout
au long de sa carrière. Il cherchait depuis toujours quelque
chose qui lui permettrait de s’affranchir des cadres habituels de la chanson, qui le sortirait du folklore ordinaire.
C’est qu’il est ambitieux musicalement, Serge Fiori. Grâce
à cette guitare, qui deviendra vite son amante et sa maîtresse, il ne s’est jamais considéré « acoustique », même
si Harmonium l’était, d’une certaine façon. Il apprécie la
profondeur de sa Norman . Là où une guitare à six cordes
lui suggère une façon d’écrire et une façon de composer
qui ne lui conviennent pas, la douze cordes lui procure, à
lui, grand amateur de jazz et de musique classique, une infinité de possibilités pour emplir l’espace musical. Beaucoup de jeunes et d’étudiants qui ont étudié les partitions
d’Harmonium se sont butés à des accords d’une grande
complexité, induits par les possibilités de la Norman, tout
autant que par le génie de Serge. Dès qu’il a mis la main sur
une douze cordes, il a commencé avec les accords de base,
mais très tôt, devant la foule d’harmoniques qui se présentaient, il s’est mis à changer la position de ses doigts,
pour trouver un son à la fois juste, mélodique et inhabituel. Parce que les sons roulent de façon si large, ses doigts
se sont mis à glisser naturellement vers des positions complètement inhabituelles. L’approche que suggère la douze
cordes s’apparente au jazz, en ce sens qu’elle permet une
rapide succession de notes très rapprochées dans les harmonies, qu’en jazz, on appelle des clusters . Cela change
tout chez Fiori, qui a toujours cherché à trouver et à jouer
les notes qui se trouvent après la gamme ordinaire. Ce qui
l’intéresse, passé les huit notes de base de la gamme de do ,
c’est de trouver les notes neuf, dix et onze, des accords superposés à la gamme, ce qui est typique du jazz. Sur sa Norman, n’importe quel accord qui serait folklorique sur une
guitare ordinaire devient très jazz, très ouvert, très harmonique. Les doigts du compositeur se placent tout seuls, et il
joue des notes normalement discordantes qui deviennent
mélodieuses et harmonieuses lorsqu’il les colle aux autres,
rapidement. Un monde infini de possibilités s’ouvre au
musicien. Sa guitare le guidera et l’inspirera tout au long
du développement de son processus d’écriture et de composition. C’est que l’instrument comme tel est aussi important que l’écriture : la douze cordes est un peu,
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