Serge Fiori : s'enlever du chemin
nous ;
alors que nous étions debout au petit matin, lui commençait sa journée vers midi. Michel Rivard l’avait surnommé
“Capitaine Sommeil” ! C’était l’époque des communes, le
temps du do it yourself .
« Serge possédait une maison à Saint-Césaire, avec Michel Rivard. De notre côté, Marthe et moi, nous avons quitté Magog. On venait de dénicher une petite maison dans
un rang, à Saint-Venant, où on s’est installés. Saint-Venant
est devenu, au fil des années, notre lieu d’ancrage, notre
refuge, notre village. En 1974, on habitait tous à la campagne, Michel Rivard, Serge, Michel Normandeau : chacun
avait des projets en tête. À ce moment-là, moi je travaillais
sur Récolte de rêves, avec le bassiste Guy Richer, un ancien
membre de l’Infonie. Dans notre univers et notre environnement, ce n’était que de la musique. On écoutait en boucle Solid Air , de John Martin, Joni Mitchell, Neil Young, Crosby.
« Harmonium, alors, était le porte-flambeau d’une décennie et n’avait ni plaidoyers ni revendication active, sa
musique à elle seule était synonyme de happenings . Il y
avait chez Harmonium, comme dans toutes ces musiques
américaines de la côte ouest que nous écoutions, une sorte
d’éveil, de renaissance spirituelle. »
Serge rend de plus en plus souvent visite à Richard et
Marthe, à Saint-Venant. La maison du couple devient le
lieu de rassemblement de la communauté musicale et
écologiste ; des membres du mouvement Greenpeace de
l’Ouest canadien y passent en visite, des Américains y apportent leur culture et leur vision de l’avenir, tissant ainsi
l’écheveau d’un des premiers mouvements verts à travers
lequel se développe une réflexion, une pensée communautaire partagée et un mouvement musical fait de créations collectives.
Dans la vallée des Appalaches, le noyau se regroupe devant un paysage magnifique. Serge vit enfin une trêve, un
repos salutaire, un moment de réel plaisir qui lui fait du
bien auprès de ses nouveaux amis. Chez Marthe et Richard,
tout le monde participe aux travaux de la maison, on fait
le train chez la voisine, on refait les clôtures des pacages,
on s’allonge sur l’herbe, on prépare le jardin, on fait le pain
pour la semaine, on mange à la même table, on se baigne
nus dans la rivière, on se met de l’argile sur le corps, on
rêve de ce que sera demain, on dort à la belle étoile. C’est
la véritable vie de commune, existence tranquille, paisible,
familiale et communautaire.
« Serge était du genre à dire “O.K., on descend à Montréal,
j’ai des billets pour James Taylor.” Il était comme l’oie qui
sonne le départ de l’envolée et que tous les oiseaux suivent.
C’était un leader. Une autre fois, il nous disait “O.K., on s’en
va à Sherbrooke, y a un spectacle intéressant.” Il entraînait,
dans sa façon à lui d’être un meneur sans mener, sans imposer. Ce qu’il proposait avait toujours de l’allure. On avait
le goût de le suivre. Dans sa façon de travailler aussi, il ne
savait pas toujours ce qu’il cherchait, mais il avait l’intuition qu’il devait y avoir un cours d’eau, une source quelque part, une place d’inspiration. Ce qu’il faisait, c’est qu’il
amenait chacun à chercher avec lui. Je trouve que c’est un
grand, grand talent de pouvoir faire ça, déceler ce qu’il y
a de meilleur pour la chanson. Quand quelqu’un arrivait
avec des idées, il ne les rejetait pas, il disait : “O.K., ça on
garde ça, on continue de chercher, ça c’est bon.” Ça mettait les choses en place. Il arrivait avec ses idées, mais il
laissait beaucoup de place à l’expérimentation. »
De plus en plus de musiciens et artistes s’installent
dans les Cantons-de-l’Est. Quand un nouvel arrivant se
construit ou achète une maison, la gang vient y séjourner
quelques jours, apporte son aide et sa contribution. À la
différence des hippies de l’époque, ils ne vivent pas tous
dans la même maison, mais ils s’aident mutuellement,
s’installent, font de la musique ensemble, puis partent
chacun en tournée… pour mieux revenir. Malgré le fait
que Les Séguin, Beau Dommage, Harmonium et les autres
soient en spectacle en moyenne deux cent cinquante soirs
par an, lorsqu’ils reviennent au bercail, c’est l’esprit de
communauté qui règne à nouveau.
Anxieux et sous pression, Serge Fiori se sent de plus en
plus fragile.
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