Serge Fiori : s'enlever du chemin
redescend du loft et demande à Pierre Labonté
de s’installer devant lui. Il lui chante alors L’exil d’un bout
à l’autre, dans un bloc, sans reprise ni interruption. Pierre
éclate en sanglots : les mots ne lui viennent pas à la bouche. Les deux hommes demeurent silencieux toute la nuit.
Lorsque, pour la répéter, Fiori présente la chanson à Locat,
celui-ci est tout aussi bouleversé. C’est dans le sous-sol
de la maison de Denis Farmer, rue Monkland, que la première séance de travail a lieu. Serge présente la chanson à
Harmonium et le groupe commence à la répéter. Plus ils
la jouent, plus la chanson les pénètre. Locat estime que,
de tout ce que Fiori a fait jusqu’à ce jour, c’est la chanson
qui représente le mieux le musicien italien. Durant la répétition, Serge Locat ressent un intense malaise, tant physique que moral, induit par la chanson. Il abandonne ses
instruments et demande aux autres de poursuivre sans lui.
Il monte à l’étage, s’étend par terre et, durant une heure,
il se trouve plongé dans un état d’esprit extrêmement
inconfortable, déclenché par la puissance d’évocation et
l’authentique charge émotive contenues dans la pièce. Il
est bouleversé.
Serge compose ensuite Le corridor – un faisceau de lumière qui monte en lui – puis, par un bel après-midi ensoleillé, Marthe lui rend visite. Ils viennent de s’installer sur
le balcon quand Serge sort sa guitare et, spontanément,
tout en improvisant, compose Lumière de vie . Michel Normandeau, ahuri, se précipite à l’intérieur, saisit le magnétophone et revient capter le moment. Serge est constamment plongé dans une espèce d’état second, une transe
qui le laisse à la fois libre et assujetti. Il est libre et affranchi
des contraintes physiques et matérielles, des contingences
de la vie quotidienne, mais il est assujetti à l’écriture, à la
composition, à la création pure, parce que le canal demeure grand ouvert. Il est complètement déconnecté de sa vie ;
il a l’impression, comme il le mentionnera plus tard, qu’il
vient d’entrer au monastère, lui, le petit joueur de folk.
Pour le deuxième chakra, celui de la créativité et du sexe,
Serge recherche un air de gospel. Chanson noire sera alors
composée avec l’aide de Serge Locat, qui se laisse transporter au piano, en toute liberté.
Pour la dernière pièce, Fiori se retrouve devant le même
dilemme que pour L’exil . Il ne sait pas comment un gars
comme lui peut aborder la sagesse. C’est aussitôt le vide, la
souffrance, la terrible angoisse de la page blanche. Il rentre à Montréal, dort à l’hôtel, va rendre visite à Lucie, erre
dans la ville. Un soir, à Outremont, en l’absence de Lucie, il
décide une autre fois de détuner sa guitare. Il transforme le la en sol sur sa deuxième corde. Il s’amuse, il expérimente,
il fait un peu n’importe quoi : il a l’impression d’avoir fait
le tour de son instrument, d’y avoir puisé tout ce qu’il pouvait y puiser. Pourtant, sa guitare ainsi modifiée, il plaque
un accord et… Fliiiing . L’accord se tient, les notes qu’il a
choisies d’instinct forment une parfaite harmonie : il tient
les premières mesures de Comme un sage . Il se dit que c’est
peut-être ça, au fond, la sagesse : l’entièreté, l’ouverture,
savoir laisser venir les choses. Ce qu’il désire, avec cette
chanson, c’est parler d’amour : boucler la boucle de la folie et réinsérer l’amour au cœur de la sagesse. Puisqu’il a
amorcé l’album avec la folie, qu’il a introduit l’amour au
milieu, les premiers mots de cette dernière pièce viennent
d’eux-mêmes :
C’est toujours pour l’amour qu’on devient fou
Ça doit être plein d’amour parce que c’est plein d’fous
tout partout
Il compose les deux premiers couplets en quelques minutes, mais ne réussit pas à finir la chanson sur-le-champ.
Serge a du mal à croire qu’il a composé lui-même le texte
qu’il a sous les yeux.
Comme ils l’ont fait précédemment, Fiori et Harmonium testent le nouveau matériel durant la tournée de
la Cinquième saison. En deuxième partie, les musiciens
présentent des ébauches des chansons qui feront partie
de l’heptade. Quelques mois plus tard, ils présenteront
aux spectateurs, venus célébrer la Saint-Jean-Baptiste sur
le mont Royal, les mélodies de Comme un fou et Comme
un sage, sans en avoir
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