Serge Fiori : s'enlever du chemin

un invité du
nom de Neil Chotem présentait son œuvre écrite et orchestrée pour un ballet   : Pythagore 1 à 7 . Cette œuvre, qui
évoquait la théorie du mathématicien Pythagore sur les
sept notes de musique et leur lien divin avec le cosmos,
avait retenu son attention. Il en parle à Serge et la lui fait
écouter. Serge adore.
    Michel organise donc une rencontre entre Neil et les
membres d’Harmonium chez lui. La nouvelle conjointe
de Lachance, Marie-Claire Sauvé, est présente. C’est sa
deuxième rencontre avec Fiori. Cette fois, elle est séduite
par la magie spirituelle de Serge. Elle l’observe, agenouillé
près de Neil   ; il est en train de lui exposer le concept de l’heptade . Marie-Claire le trouve très beau avec ses longs
cheveux qui tombent en cascades sur ses épaules, mais elle
est surtout impressionnée par son explication des sept niveaux de conscience. La clarté de ses commentaires ajoute
à l’aura déjà puissante de la star une dimension spirituelle,
une douceur et une amabilité qui semblent couler de source. Elle en reste éblouie.
    Neil Chotem, anglophone d’une cinquantaine d’années,
possède une longue et impressionnante feuille de route
en tant que compositeur, arrangeur et orchestrateur. Au-delà de son parcours professionnel, c’est sa gentillesse et
son écoute qui séduisent immédiatement Fiori. Neil a une
belle âme, comme Serge en a rarement vu, et l’affection
entre les deux hommes s’avère réciproque. Quand Fiori
fait écouter une partie de l’heptade à Neil, celui-ci se laisse
toucher aux larmes   : conquis, ému, il est prêt à tout donner
pour cet album. Chotem a confiance en Serge Fiori qui, à
ses yeux, incarne la musique nouvelle et le désir d’aller
toujours plus loin.
    Dans la maison des Chotem, à Notre-Dame-de-Grâce, les musiciens passent des après-midi entiers, Neil au
piano, Serge à la guitare, à interpréter l’heptade. Au studio
Tempo, ils préparent, avec l’aide de Locat, une démo qui
servira à présenter les pièces au reste du groupe.
    Serge Locat se rappelle que lorsque les musiciens se
préparaient, le matin, pour l’enregistrement, Serge était
souvent occupé à accorder sa guitare douze cordes. Cela
pouvait parfois lui prendre une heure   ; le manche de sa
guitare Norman travaillait et l’instrument avait du mal à
rester juste. Les premières fois, le reste du groupe attendait patiemment, mais plus tard, quand Fiori lançait   : «   Je
m’en vais accorder ma guitare   », les autres s’entreregardaient et annonçaient   : «   O.K., les boys, on s’en va manger
au resto   !   »
    La maison de Saint-Césaire ressemble maintenant à
un hôtel. Il y a un va-et-vient constant de musiciens et de
techniciens, qui séjournent quelques jours puis repartent,
laissant la maison dans un état lamentable. Serge cherche quelqu’un pour entretenir la demeure et justement,
Normandeau connaît une jeune fille de dix-huit ans,
Hélène Bélanger, qui pourrait s’en occuper. L’affaire est
conclue. La première fois qu’Hélène se présente à Saint-Césaire, Fiori réalise qu’il est devant une femme d’une très
grande beauté   : c’est le choc, le coup de foudre, l’étincelle.
Serge s’éprend si vite et si totalement d’elle qu’il met enfin un point final et définitif à sa relation tourmentée avec
Lucie.
    Hélène, affectueusement baptisée Bélanger, devient la
maîtresse de la maison, puis celle de Serge. Un soir, elle
monte dans la chambre de Fiori et s’y installe   : elle y dormira durant les quatre années suivantes. Malgré son jeune
âge, elle gère la maison comme une professionnelle. Remplie de talent, elle devient vite la présence féminine essentielle au foyer   ; elle prépare les repas, entretient la maison,
veille sur les uns et sur les autres. Serge est bien, très bien,
même. Ces cinq ou six mois passés dans cette maison deviendront la période la plus créative et la plus heureuse
de sa vie   : préparer l’heptade chez lui, lors d’un été où il
n’a presque pas plu, à observer, le soir venu, les aurores
boréales embraser le ciel, les portes de la maison grandes
ouvertes, entouré de musiciens fous de leur art, qui jouent
jusqu’à l’épuisement… voilà ce qu’il aime. Son bonheur
est complet, sans failles.
    Neil arrive à neuf heures du matin, feuilles éparses en
main, son petit chapeau planté sur son crâne dégarni,