Serge Fiori : s'enlever du chemin
c’est-à-dire de juste jouer les chansons, et que tout s’imbrique en temps et lieu, le studio ne
convenait pas. Autant pour me protéger que pour innover,
j’ai décidé de faire ça dans la maison. Tout le monde trouvait ça complètement fou, ça n’avait aucun sens de mettre
un band dans un salon, le micro dans une cuisine. Mais ce
que tu découvres très vite, c’est que c’est bien plus organique, le son est bien meilleur. Les murs de bois résonnent,
les sons ne sont pas isolés. Tout le band se mélange. Quand
tu joues ta guitare acoustique dans un studio, tu es dans ta
petite boîte. Le gars qui joue l’autre guitare est aussi dans
sa petite boîte. Les deux sons ne rentrent pas dans les micros de l’autre. C’est ça, le son : c’est ce que toi tu chantes
et ce que tu joues qui rentrent dans l’instrument de l’autre ;
la batterie rentre dans ton micro… Il y a un mélange qui se
fait quand tu ouvres tous les micros. »
La maison de Saint-Césaire est parfaite pour accueillir
le groupe et les instruments, mais le problème de l’équipement de studio et d’enregistrement se pose. Michel Lachance et Serge discutent de cet enjeu lorsqu’ils se souviennent soudainement que Saturday Night Live et The
Muppets Show , dont ils sont des adeptes, sont tous les deux
enregistrés à New York, grâce à un studio mobile, une camionnette tout équipée qui peut se garer devant une maison. Les deux hommes parviennent à mettre la main sur
les coordonnées du studio mobile new-yorkais, prennent
contact avec les responsables et concluent une entente
avec eux. Le prix est raisonnable. Serge explique qu’il a un
des meilleurs ingénieurs du son au Québec, qu’ils n’ont
pas de souci à se faire. Le camion traversera la frontière et
viendra s’installer à Saint-Césaire tout le temps nécessaire
à l’enregistrement, puisque l’été constitue la saison morte
à New York.
Le groupe vit un moment cocasse lorsque le camion de la
Fed-Co arrive en mai. Sur le rang 7, encerclé par les montagnes, les New-Yorkais arrivent avec leur studio mobile, un
gros camion orangé. Serge, sur le balcon, les voit arriver de
loin et se tord de rire : « Je les vois arriver, ces techniciens
urbains, ces high-tech , sur mon petit rang, avec les vaches
de chaque côté ! On était tous assis sur la galerie, un gang de hippies aux cheveux longs ; quand ils ont ouvert la porte
du camion, je me suis dit : ils vont mourir en nous voyant ! Heureusement, Michel Lachance est sorti de la maison
pour leur demander si les deux vingt-quatre pistes étaient
“synchros”. Ils ont semblé soulagés : “ Oh, you’re the guy ! ”
« Il y avait quelque chose de très tripant dans le fait de
jouer dans ton salon, de sortir dehors, d’ouvrir les portes
du camion, d’y rentrer. C’était comme un univers à part.
Oui, c’était les plus beaux moments. C’était les moments
qui sonnaient le mieux aussi, le son était parfait. On aurait
dû juste le laisser de même. L’enregistrement est devenu
comme l’écriture. On tunait nos instruments et on se mettait à jouer. On fait la chanson, je chante. Tu ne penses pas
à faire une performance, tu ne penses pas à ce que ce soit
la bonne prise. Tu joues, simplement. Tout ce que le gars,
dans le camion, a à faire, c’est de peser sur “record”. Un
moment donné, la prise magique va arriver. Toi, tu ne sais
pas que tu es en train d’enregistrer, car t’oublies complètement ça après une heure. Tu n’es pas en train de faire un
disque, tu n’es pas en train de faire un enregistrement, tu es
en train de jouer. C’est la vraie affaire, la vraie musique, car
il n’y a rien de plus intimidant que de jouer dans un studio,
de savoir que la voix que tu vas faire, que la prise que tu vas
faire, doit être la bonne. Il n’y a rien de pire. Pour moi, ça a
été la continuité de l’écriture. Il faut jouer jusqu’à ce qu’on
tombe à terre. Quand tu joues, sans carcan, la musique va
ailleurs. Le solo de Locat devient complètement débile, il
joue à cent à l’heure : ça devient le solo de Premier ciel .
Il n’était pas censé être là, ce solo, c’est un hasard provoqué par le temps qu’on avait pour jouer, dans le plaisir et
l’abandon. Tu n’auras pas ça dans les studios. »
Michel Lachance se souvient avoir vu une émission, à
la télé de Radio-Canada, au cours de laquelle
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