Serge Fiori : s'enlever du chemin
devant
Michel. Avec fermeté, mais doucement, il lui dit : « Michel,
ça marche pas, ça. Maintenant, tu sors, là. » Puis, il le reconduit à la porte.
Une ou deux semaines passent avant que Michel ne revienne : il se présente à la maison avec un document signé : il renonce à son partenariat avec les productions Harmonium, et cède tous ses droits à Serge et à Louis. Puis, il
repart. Normandeau ne fait plus partie d’Harmonium.
Saint-Jean 1976
Harmonium fait une pause dans l’élaboration de l’heptade pour se produire au spectacle de la Saint-Jean. Ce soir-là, Serge Fiori vit l’un des moments les plus inoubliables de
sa carrière. Harmonium, avec Beau Dommage, Contraction, Octobre, Raôul Duguay et Les Séguin, se produit au
lac aux Castors, sur le mont Royal, devant un public estimé
à un demi-million de spectateurs. Le spectacle s’intitule O.K., nous v’là !
Dès midi, aux abords de la montagne, Fiori observe un
flot ininterrompu de gens qui se dirigent vers la voie Camilien-Houde, la route d’accès direct à la montagne et au lac
aux Castors. Inquiet d’être incapable de s’y rendre quand
viendra le moment des tests de son, il décide de gagner la
scène tout de suite. Le public est dense, enthousiaste, et
Serge sait que si les gens le reconnaissent, il n’arrivera pas à
se rendre au sommet en temps opportun. Il enfile donc un
déguisement et, encadré par deux amis, il entreprend de
gravir la voie Camilien-Houde. Partout autour d’eux, des
grappes de spectateurs se déplacent avec fébrilité, espérant arriver les premiers sur le site et y dénicher une place
de choix où s’installer. Enfin près de la scène, où des caravanes ont été aménagées en loges, Fiori rejoint Richard
Séguin et Marthe, son amoureuse. Tous les trois observent
avec émotion l’agitation qui règne sur la montagne, où
une ville est littéralement en train de prendre forme sous
leurs yeux. Au cours des heures qui suivent, des dizaines,
des centaines, des milliers, puis des centaines de milliers
de personnes plantent des tentes, placent des chaises,
étendent des couvertures, prenant de cette façon possession des quelques pieds carrés qui seront leur domaine
pour toute la soirée. Il y a du monde partout, même le long
de la pente qui descend au versant opposé à la scène, de
l’autre côté du lac, là où il est certain que les spectateurs
entendront le spectacle, mais ne verront malheureusement rien… Les musiciens sont impressionnés et touchés
de voir cette marée humaine, anticipant le déferlement
d’amour qui va bientôt les emporter. Au moment des tests
de son, de longues acclamations, des cris et des applaudissements fusent de partout, comme si le show commençait.
Le tout semble de bon augure.
Hélas, moins d’une heure avant le début de la prestation
musicale, la stupeur frappe les musiciens : les immenses
colonnes de son qui tapissent le côté droit de la scène cessent de fonctionner. Le son, pour ce spectacle qui réunit
cinq cent mille personnes, rappelons-le, sera diffusé exclusivement du côté gauche de la scène : il est impossible de
corriger le problème avant le début du spectacle. Heureusement pour tous, Michel Lachance, qui ne mixe jamais en
direct, accepte ce soir-là de déroger à sa règle personnelle :
il le fait par amitié pour les musiciens de Beau Dommage
et d’Harmonium et parvient à faire un travail de sonorisation formidable, malgré les embûches.
Comme si ce n’était pas suffisant, la pluie se met de la
partie ; des trombes d’eau se déversent sur la tête des centaines de milliers de fans, mais ça ne refroidit pas une seconde leur ardeur et le spectacle s’avère, sur tous les plans,
un moment magique, émouvant, tant pour les musiciens
que pour les spectateurs. On peut qualifier cette prestation de pièce d’anthologie, de performance historique, de
spectacle à forte saveur émotive et à connotation politique.
Le Parti québécois prendra le pouvoir quelques mois plus
tard, et cet événement représente incontestablement un
jalon important dans la montée du sentiment nationaliste.
Malgré cela, ce concert de la Saint-Jean demeurera surtout, dans la mémoire collective, une grande fête musicale.
Les musiciens de tous les groupes sont gonflés à bloc. Ils
ont répété ensemble douze heures par jour dans un grand
local durant plus d’un mois. Ils ont partagé leur vie
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