Serge Fiori : s'enlever du chemin
se ressemblent ! On a six octaves à deux et on se rejoint à la
troisième. Là où elle arrête, je pars, et où j’arrête, elle part.
Et c’est le même timbre. Sur un enregistrement, quand on
écoute nos deux voix, c’est confondant. On chante tous les
deux du fond de la gorge. Un mix parfait. »
Pour le chœur de Comme un sage , Fiori a besoin d’ajouter
Des voix masculines. Il pense aussitôt à Pierre Bertrand, son
ami de Beau Dommage, ainsi qu’à Richard Séguin. Il s’imagine déjà au milieu d’eux, entre la voix basse de Pierre et la
voix plus haute de Richard. Il sait que ce sera magnifique.
Le seul problème, c’est que la veille de l’enregistrement, il
n’a toujours pas terminé la chanson : il manque le dernier
couplet et la finale. À la maison, en compagnie de Farmer,
il voit défiler les heures : minuit, deux heures du matin,
puis quatre heures ! Malgré tous ses efforts, la fin ne vient
pas. Fiori décide d’aller marcher, comme il en a l’habitude
lorsque le moment vient de s’enlever du chemin et d’ouvrir
grand le canal. Il se dit : « Qu’essaies-tu de faire, Serge ? Tu
veux incarner temporairement la sagesse. Tu n’es pas toi-même un exemple de sagesse, mais pour le faire, prête ton
corps afin de la recevoir. » Soudain, les mots jaillissent :
L’amour se prend un corps pour voyager
Mais quand il vient chez nous y a peur de déranger
Comme s’il était seul à pouvoir tout changer
C’est fou quand on aime, la mort n’a jamais existé
Il court comme un détraqué vers la maison, saisit sa guitare, écrit et s’effondre enfin dans son lit où il finit par trouver le sommeil aux aurores.
Le grand jour arrive. Estelle, Monique, Richard, Pierre
et Serge se réunissent dans le salon de Saint-Césaire. C’est
un après-midi magnifique et le soleil inonde le studio au
centre duquel trône un micro. Les cinq chanteurs s’installent. Neil est présent, il doit s’assurer de l’équilibre entre
les voix. Si quelqu’un est trop proche, il doit reculer, ou s’il
est trop loin, il doit avancer, selon que la voix porte trop
ou pas assez. Au début, chacun essaye de placer sa voix, et
soudainement, ça y est ! C’est le parfait mariage de toutes
ces tonalités ! Neil ose à peine respirer ; il est ébahi par cette
imbrication idéale, par cette communion des voix qui frise
le divin. Les chanteurs aussi se regardent, heureux et en
parfaite harmonie. Sans hésiter, parce que le moment est
idéal et qu’il doit le capturer, Michel appuie sur le bouton
« record ». Personne, même ceux qui chantent avec Harmonium depuis longtemps, n’avait jamais entendu un tel
prodige. Monique explique ces moments de grâce en ces
termes : « C’est le blend dont tu rêves ! Même si les autres
ont tous déjà chanté en duo, ce blend -là était unique et
parfait. Moi, depuis que je fais de la musique, j’ai toujours
recherché ça. C’était extraordinaire ! Une rencontre d’anges. C’est la plus belle affaire que j’ai jamais entendue. À
la fin de la journée, on ne pouvait plus se quitter. Après
avoir vécu ça, on ne pouvait pas juste retourner à nos vies.
On voulait se partir un nouveau groupe, tous ensemble, et
laisser nos groupes respectifs ! »
Après cette expérience, Fiori est transformé : il flotte littéralement sur un nuage. Il sait qu’il vient de s’approcher
aussi près qu’on le peut de la perfection. Le soir venu, encore habités par ce sentiment de bien-être et d’accomplissement, Serge et Neil s’installent sur la galerie. Neil laisse
tomber, encore ébranlé : « C’est Dieu, c’est la voix de Dieu,
qu’on a entendue aujourd’hui, on aurait dit des aurores
boréales. » Au moment même où il prononce ces mots,
une splendide aurore boréale se dessine dans le ciel obscur, laissant les deux hommes sans voix. Au bout de quelques instants, Neil demande, incrédule : « Seurge, is this for
real ? » Un rire au fond de la gorge, Serge répond : « Ben…
oui, ben réel ! »
Monique, comme tous les autres, a vécu cette journée
avec une intensité qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant. Elle ne connaît pas bien ses nouveaux collègues,
mais elle a remarqué le formidable espace de liberté qu’ils
lui ont accordé, leur curiosité, leur ouverture à accepter
ses propositions, leur complicité vocale,
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