Serge Fiori : s'enlever du chemin

  c’est que s’il veut travailler sur quelque chose, il ne le fera
pas quand toi tu le veux, il ne se lèvera pas pour le faire à
l’heure qu’il faut, mais quand il va s’y mettre, toi, tu vas
sûrement mourir parce qu’il n’arrêtera plus   ! À trois heures
du matin, tu veux aller te coucher, mais lui, il est prêt à
continuer jusqu’à sept heures   !   »
    À partir du cinquième chakra, le chakra de la gorge, Fiori
a besoin d’énergie féminine. Dans le concept de l’heptade, c’est l’énergie féminine qui sauve l’énergie masculine.
«   La femme est le pilier de la sagesse. Elle est divine, à mon
sens. La féminité transcende la conception et c’est par elle
que s’exprime la création. C’est elle qui enfante. Symboliquement, quand l’homme se prosterne devant la femme, il
devient sage. Il reconnaît alors que le rite de passage passe
par la féminité.   » Serge commence à se dire qu’il ne peut
pas interpréter lui-même la chanson Le corridor . Il s’écoute
la chanter et trouve que c’est un non-sens. Il est déchiré   : il
veut la faire chanter par une femme mais, du même coup,
il a beaucoup de mal à lâcher prise . Il décide, pour l’instant,
de la chanter lui-même. Il a besoin, pour les chœurs, de
deux voix féminines. Il pense tout de suite à Estelle Sainte-Croix. «   Estelle, c’est du satin sur deux pattes   », dit-il. Il l’a
rencontrée, alors qu’elle habitait chez Farmer. Estelle, qui
se démarque déjà comme chanteuse, enregistre aussi des
messages publicitaires au studio Tempo, avec Michel Lachance. Une jeune fille timide du nom de Monique Fauteux accompagne parfois Estelle dans la réalisation de ces
publicités. Si Fiori connaît suffisamment Estelle – il sait
où et comment la placer dans le chœur – il doit par contre
rencontrer Monique pour se faire une idée de celle qu’on
lui propose comme deuxième voix.
    L’appartement
qu’habitent
Denis
Farmer
et
Estelle
Sainte-Croix est une espèce de quartier général où les musiciens et les gens du show-business se rassemblent   ; tout
le monde vient y répéter. On y convoque Monique. Comme tous les jeunes, elle connaît le groupe Harmonium et
a entendu parler de l’album en cours par un ami qui avait
eu la chance de passer un après-midi à Saint-Césaire. Cet
ami avait raconté son expérience avec beaucoup d’émotion, aussi Monique est-elle tendue et un peu nerveuse
lorsqu’elle se rend chez Denis Farmer pour se présenter.
Dès qu’elle met le pied dans la maison, elle comprend
qu’elle s’apprête à vivre quelque chose de grandiose. «   Il
y avait un feeling dans l’air   ! Pas un mot ne se disait. Tout
le monde avait l’air gentil, mais tout le monde était muet.
C’était intense muet. Comme s’il s’était passé quelque
chose juste avant mon arrivée. Tu voyais que ces gens-là
avaient une histoire. Ce n’était pas du tout comme aller faire une session dans un studio. C’était complètement autre
chose.   » Monique est aussi impressionnée de rencontrer
Neil Chotem, un musicien qu’elle admire. Elle s’assoit, se
demandant pourquoi on fait appel à elle. Elle a peine à réaliser ce qui lui arrive. Fiori lui fait écouter, avec les autres,
les bandes déjà enregistrées et lui indique la séquence où il
aimerait qu’elle chante. La rencontre se déroule bien et on
se donne rendez-vous, pour la suite des choses, à la maison de Saint-Césaire.
    Serge constate rapidement que Louis est touché au cœur
par Monique. Leur rencontre, dans la maison de Saint-Césaire, semble se dérouler au ralenti, comme dans un film
de Lelouch. Monique s’installe au salon pour trouver son
timbre, alors que Serge et Louis, assis à la table de cuisine,
sont subjugués. Ils s’interrogent du regard, mais il est clair,
dans leurs yeux, qu’elle les a conquis. Ils balbutient quelques mots vagues avant de se demander ce qu’ils doivent
faire. La réponse est spontanée, unanime, sans ambiguïté   :
«   Ben   ! On la garde   !   » Monique vient officiellement de se
joindre à Harmonium. L’émotion que Monique a déclenchée chez Louis semble aller au-delà du strict plan musical. Serge, pour sa part, sent qu’il y a des affinités entre eux.
«   Elle est un peu comme mon pendant féminin   : gauche,
un peu “disjonctée”, les longs cheveux dans le visage, toujours assise dans son coin, un peu à l’écart. Même nos voix