Serge Fiori : s'enlever du chemin

encore une fois d’un hymne rassembleur, qui rappelle les
fins de spectacles habituels d’Harmonium.

    La tournée de l’heptade s’étire. Tant qu’il est sur scène,
Serge va encore à peu près bien, mais dès qu’il sort de cet
espace privilégié, tout ce qui le tient ensemble se disloque.
Sans son public, la complicité avec celui-ci, la musique, il
commence à ressentir, en plus de l’anxiété et de l’angoisse,
les résurgences de son bad trip d’adolescence. Les espaces
se rétrécissent, sa vision se brouille, les sons et les couleurs
se mélangent. Sur scène, il confond les paroles des chansons, en oublie. Avant chaque nouveau spectacle, il est pris
de malaises. Un soir, quelques minutes avant son entrée
en scène, il se met à saigner abondamment de la bouche.
Personne ne s’en soucie. Lorsqu’il exprime ses craintes de
ne pas être en mesure de faire le show, il ne se sent ni entendu ni reçu   : il faut faire le show. Annuler comporte des
conséquences de plus en plus importantes pour l’équipe,
le public, la gérance. Toutes ces attentes exercent une pression énorme sur les épaules de Fiori, qui se sent irrémédiablement glisser vers l’isolement et la paranoïa.
    Entre les spectacles, il est tiraillé par les conflits qui éclatent entre certains membres du groupe. Il existe deux types de personnalité à l’intérieur du band   : les rock stars qui
cherchent la renommée, et les introvertis. Tout le monde
donne son opinion et veut participer aux décisions – Fiori
reconnaît la légitimité de ce besoin, mais il n’en demeure
pas moins que c’est un poids qui s’ajoute au fardeau déjà
lourd qu’il porte sur ses frêles épaules. La fatigue se fait
sentir et le fantasme d’échapper à toute cette pression se
profile. Autant il adorait monter sur scène pour, comme
il le disait, faire l’amour avec son public, autant, maintenant, lorsqu’il emprunte les escaliers menant au stage , il a
l’impression de descendre aux enfers.
    Serge se réfugie dans le Maine pour un court séjour en
compagnie de Monique, de Louis et d’Hélène. Par la suite,
c’est à Saint-Césaire qu’il se terre entre les tournées, même
s’il s’y sent parfois envahi. Au petit matin, quand il se lève,
il aperçoit sur son terrain des tentes abritant des groupies
qui n’attendent que son lever pour boire la parole du jour.
Il est agacé, se sent dénaturé, ignoré dans ce qu’il est réellement. En même temps, généreux envers son public, il se
montre incapable d’imposer ses limites.

    Entre Séguin et Fiori, l’idée d’un album se précise, bien que Serge se questionne sur la forme que celui-ci prendra   ;
il a réellement l’impression qu’il ne pourra plus écrire.
Avec l’heptade, il a le sentiment d’avoir tout donné, de
s’être livré entièrement et définitivement. Il a peur de ne
plus jamais pouvoir écrire, peur que sa source se soit tarie
pour de bon, mais il n’en souffle mot à personne. Tous les
musiciens de son groupe sont sur le qui-vive. Ils attendent
de voir ce qu’il va décider concernant l’avenir d’Harmonium. Tous ignorent l’angoisse devenue chronique qui
l’assaille, l’anxiété qui l’étouffe, le malaise psychique qu’il
ressent à l’égard de la scène et du public, ainsi que les réminiscences de son bad trip. Fiori doit prendre une décision, mais il demeure paralysé, ne sachant que faire. Il ne
veut pas laisser tomber les gars du groupe, alors qu’il se
sent de plus en plus à l’aise avec son ami Séguin.
    Serge Fiori ne peut plus écrire une ligne   : c’est le blocage total. Plus rien. Pour ne pas trop déprimer, il passe
l’essentiel de son temps à Saint-Venant. Il loue un piano
et, avec Richard, ils s’amusent à en jouer. Ces deux-là se
complètent bien. Fiori retrouve la relation fusionnelle qu’il
a entretenue avec Normandeau, et Séguin, celle qu’il a eue
depuis la naissance avec sa véritable jumelle, Marie-Claire.
Fiori et Séguin se ressemblent. Deux hippies aux cheveux
longs, bohèmes et artistes, représentants typiques d’une
jeunesse québécoise qui s’éveille et s’ouvre au monde.
    Un soir, à Saint-Venant, émerge l’idée d’un album à trois   :
Rivard, Séguin et Fiori. Alors que le Québec est en pleine
effervescence culturelle et politique, ces trois auteurs-compositeurs-interprètes sont à la croisée des chemins,
leurs groupes respectifs se séparent, ou