Serge Fiori : s'enlever du chemin
tremblent, il souffre constamment ; il revit
son bad trip ; comme lors de cet événement marquant, il
entend les gens lui parler, mais il est incapable de leur répondre. Pourtant, il doit répéter. Le show est déjà annoncé
et plus de quatre-vingt-quinze mille personnes seront présentes. Le spectacle doit avoir lieu. Durant l’entrevue avec
les journalistes, juste avant le spectacle, Serge se montre
totalement léthargique, il ne dit rien.
Durant le spectacle, il agit comme un zombie : il chan
te sans prêter attention à ce qu’il fait, semble sur le pilote
automatique. Son regard erre au-dessus de la foule. Tout
en jouant machinalement, il réalise que sa vision se trouble ; il perçoit soudainement le monde en noir et blanc,
comme sur un négatif de pellicule photo, et la foule est
tantôt floue, tantôt aveuglante. Il sent la panique l’envahir inexorablement. Pourtant, par il ne sait quel prodige,
il arrive à terminer le spectacle, mais dès la dernière note
jouée, il dépose sa guitare, quitte la scène et se dirige vers
le sentier qui mène à sa loge. Sur la butte qu’il doit gravir,
il trébuche et s’effondre. Lorsqu’il se relève, il jette un regard par-derrière pour voir la scène : Fiori se fait alors la
promesse qu’il ne montera plus jamais là-dessus. Ce sera
la dernière grande scène de sa carrière.
Après Fiori-Séguin
J’passe des nuits blanches
À chercher quoi faire de mes journées
Dur comme une planche
J’veux grimper au plafond
Mais j’suis pris dans l’plancher
J’peux pus rester
J’peux pas m’en aller
J’attends en silence
Ma délivrance
Chanson
noire
À partir de 1981, le contexte socioculturel du Québec
change. Le monde de la musique et de la chanson est
grandement affecté par la déprime postréférendaire. Les
Québécois ont rejeté, par voie de consultation populaire,
quelques mois plus tôt, l’option souverainiste du Parti québécois, et ont refusé, par le fait même, de faire du
Québec un pays. Le monde culturel, les auteurs-compositeurs-interprètes, les écrivains, les poètes, les dramaturges, les artistes en arts visuels qui, presque tous, avaient
porté bien haut le flambeau nationaliste, qui avaient cru
à ce rêve et milité pour l’avènement du pays, qui avaient
donné du temps et de l’énergie pour la cause indépendantiste, voient l’exaltation et l’espoir céder la place à la morosité et au désenchantement. Les salles de spectacle se
vident, les chanteurs se terrent pour soigner leurs plaies et
la chanson québécoise vit un passage à vide qui contraste
douloureusement avec l’effervescence des années 1960 et
1970. Des groupes naissent, qui surfent sur les modes et
prônent le divertissement, les distractions ; c’est la politique de la tête vide et de l’absence de questionnements. La
musique disco fait rage et les groupes anglo-saxons occupent tout le territoire de la planète chanson. Le chanteur
québécois, affirmé et nationaliste, ou simplement porteur
d’un message, n’a plus la cote de popularité. Il ne remplit
plus ses salles, son discours est devenu rebutant, le public
refuse de le suivre. Durant cette période de morosité, qui
durera près d’une dizaine d’années, chacun tente de survivre à sa façon. Certains abandonnent carrément le métier,
d’autres s’orientent différemment ou essaient de profiter
des modes du moment. Certains restent eux-mêmes, mais
disparaissent tout simplement des écrans radar.
Louis Valois, qui travaille alors à produire un album de
Marie-Claire Séguin, invite Serge Fiori à se joindre à eux
comme guitariste et choriste, en compagnie de Monique
Fauteux, de Neil Chotem et de Denis Farmer. De cette collaboration naîtra un album – un disque compact, désormais, et non plus un microsillon de vinyle. Une série de
spectacles suivra, d’abord à l’Outremont. Ensuite, c’est la
tournée. Serge accompagne ce groupe de musiciens ; il essaie de se maintenir dans l’ombre, mais inévitablement, il
attire les regards et les fans . Durant cette même période,
Fiori accepte d’accompagner Neil sur un album auquel
celui-ci travaille. Marie-Claire Séguin, Louis Valois, Monique Fauteux, Libert Subirana, Denis Farmer, ainsi que
Mégo (Claude Lemay) y participent aussi. L’album est assez technique, à la fois classique et jazz fusion. Pour cette
production, Serge demeure encore à
Weitere Kostenlose Bücher