Serge Fiori : s'enlever du chemin
allures de maison close ; elles prendront
soin du groupe, feront les repas et verront à l’intendance.
Malgré le comique de la situation, Richard Séguin vit
difficilement cette expérience de studio. « En studio, je me
retrouvais avec un nouveau groupe de musiciens, j’étais
un peu perdu dans ce tourbillon, les choses allaient trop
vite. Serge avait l’habitude de travailler avec cette formation, c’est donc lui qui a pris en main la plus grande partie
de la production.
« Ça allait trop vite. À l’écoute de l’album, on sent dans
ma voix à quel point je me cherchais. La voix comme un
cri primal. On avait envisagé de faire cet album de façon
intime, folk, avec une approche acoustique, ce qui était
parfaitement cohérent pour moi, mais dès que ça a débordé de ce concept, je me suis senti dépassé. À un moment
donné, vers la fin de la réalisation, j’ai senti le besoin de
me retirer. »
Effectivement, alors que presque toutes les chansons
sont enregistrées, Richard se lève et quitte brusquement
le studio, bien qu’on soit en pleine séance de travail. Les
membres du band se mettent aussitôt à se moquer de lui et
à parler dans son dos ; furieux et bouleversé, Fiori les somme de se taire et de quitter immédiatement le studio. C’est
la fin de la séance d’enregistrement. Richard Séguin n’y reviendra plus que pour entendre le mix une fois terminé.
Malgré cette ombre au tableau, Serge est une fois de
plus séduit par le travail en studio mobile ; plus jamais il ne
retournera enregistrer dans un studio conventionnel. À la
suite de l’heptade et de Fiori-Séguin, il réalisera un album
solo, des disques de mantra, celui de Nanette et tout le reste hors studio. « Un bon exemple qui illustre la liberté que
donne l’unité mobile est le suivant : on essaie d’enregistrer
une chanson par jour, mais je suis tellement épuisé et malade que je fais près de cent trois degrés de fièvre le matin
où on doit enregistrer Viens danser . Je n’ai pas le choix, les
gars répètent. Je suis couché en bas, les gars répètent. J’attends. Je joue du piano sur cette chanson-là, et j’attends. Je
monte, on répète un peu la chanson, je chante, je retourne en bas. Puis, je remonte et on se regarde : nous savons
que nous avons un tape . Ça a donné une couleur à ma voix
que je n’ai jamais eue. À la fin où j’improvise, ma voix est
rauque, je me lance dans toutes les directions. Comme si
je donnais un ultime coup. Malade comme un chien, je
vais tout donner. Normalement, si j’avais été malade alors
qu’on enregistre en studio, on aurait annulé la session,
parce que ça coûte cent cinquante dollars de l’heure ; tout
le monde calcule. Dans l’heptade et Fiori-Séguin, il n’y a
que des moments comme ça. Des “moments hasards”, où
la prise peut aussi bien arriver à dix heures du matin qu’à
onze heures le soir. »
Il reste encore le mix à faire. C’est chez Michel Lachance, qui a repris la maison de Normandeau à Marieville, que
Serge et lui s’acquittent de cette tâche. Soucieux de protéger son ami, Fiori n’a jamais évoqué cet épisode si pénible pour Richard Séguin. Aujourd’hui, avec humilité, ce
dernier reconnaît qu’à ce moment-là de sa vie, il lui était
difficile de supporter cette pression. Il a certainement fait
preuve d’une grande sagesse en ne poursuivant pas cette
aventure et en entreprenant, dès après son départ précipité, des projets d’écriture qui devaient vite prendre des
allures thérapeutiques. Richard est conscient de la déception de Serge, et malgré le froid qui s’est installé entre eux
depuis le départ précipité de Séguin, les deux hommes
demeurent très sensibles l’un à l’autre. Ils sont amenés à
se revoir pour l’album, mais aussi parce qu’ils pratiquent
tous les deux les arts martiaux, et ce, dans le même dojo.
Par ailleurs, la tournée de l’heptade n’est pas terminée,
et Serge en profite pour introduire ses propres chansons
de Deux cents nuits à l’heure , afin de les tester en public.
Cela lui procure une motivation supplémentaire ; son état
psychique, en cours de tournée, continue de se détériorer.
Une série de spectacles importants attend le groupe : le
parc Jarry, le Centre de la nature, puis Bromont.
En dépit de cet accouchement difficile, l’album s’avère
un immense succès. Avec près de
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