Serge Fiori : s'enlever du chemin

du Parc. Il
y passe la soirée à s’enivrer, seul. Ce sont parfois des passants qui le réveillent, parce qu’il s’est endormi, ivre mort,
sur un banc de neige. Les jours où il n’est pas à la poursuite
d’Hélène, Serge passe des heures à jouer du piano. Il devine que son prochain projet musical sera sur clavier. Il sent
qu’il devrait apprendre le piano. Il joue parfois durant quatre ou cinq heures, sans s’arrêter. Incapable de cuisiner, il
avale des soupes instantanées aux nouilles chinoises.
    Serge aimerait jouer du piano comme Neil. Lorsqu’il lui
demande de lui enseigner les rudiments de cet instrument
à cordes, Chotem réplique   : «   Pourquoi   ? Tu veux jouer du
Rachmaninov   ? C’est vrai que c’est beau et que tu aimes
ça, mais ce n’est pas toi. Moi aussi j’aimerais ça jouer
comme toi. C’est pour ça qu’on est si bien ensemble. C’est
parce qu’on est différents, chacun à notre façon.   » Neil refuse d’enseigner la base pianistique à Serge   ; il prétend, au
contraire, que Fiori devrait transposer au piano ce qu’il fait
sur sa guitare, qu’il devrait développer, comme il l’a déjà si
bien fait avec sa douze cordes, une méthode bien à lui. Il est
convaincu que si Fiori continue de jouer du piano quatre
ou cinq heures par jour, il trouvera un son qui lui est propre, unique. Il trouvera sa signature, comme il l’a fait avec
la guitare. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’apprendre les
bases. Il n’a qu’à continuer à improviser et les choses se
mettront en place. Serge est néanmoins déçu par ce refus.
Il revient trois ou quatre fois à la charge, mais la réponse de
Neil demeure toujours la même. Fiori le prend mal, parce
que dans l’état de détresse psychologique dans lequel il se
trouve, il ressent le besoin de se raccrocher à quelqu’un, à
quelque chose. Pourtant, force lui est d’admettre que les
arguments de Chotem sont solides. Serge se met à jouer six
ou sept heures par jour, seul et sans partitions   ; il reproduit
les mélodies qu’il entend dans sa tête et, de fil en aiguille, à
force de jouer et d’improviser, des chansons naissent dans
son esprit. Les années vont donner raison à Neil   : au piano,
il y a désormais une signature sonore «   Fiori   ».
    Durant cette période trouble au cours de laquelle il est
déprimé, Serge Fiori a le bonheur de faire une rencontre
particulière, l’une de ces rencontres qui peuvent extirper
quelqu’un de sa dépression. Son chemin croise celui de
Murielle Paquet, une superbe comédienne avec laquelle il
amorce une relation passionnée. Pourtant, son deuil d’Hélène est loin d’être terminé. Sa relation avec Murielle ne
prend finalement pas vraiment forme. Fiori part alors pour
le Mexique, à l’invitation de ses amis, notamment Marie-Claire Séguin et Jim Corcoran, afin de recharger un peu ses
batteries et de prendre les décisions qui s’imposent. Là-bas, il rencontre une fille sympathique qu’il invite, en toute
amitié, à l’accompagner chez lui à son retour. Il n’a pas de
relations physiques avec elle, mais il est tellement désorienté qu’il est persuadé qu’une présence amicale à ses côtés ne peut que lui être bénéfique. Le lendemain de son retour, Murielle passe le voir pour s’enquérir du voyage qu’il
vient de faire, mais dès qu’elle aperçoit l’autre fille dans
l’appartement, elle quitte les lieux, furieuse. Serge n’aura
pas le temps de lui expliquer qu’entre cette fille et lui, c’est
uniquement amical, chaste et platonique. Cet imbroglio
pousse Murielle à accepter un voyage en Floride à bord de
l’avion privé de son ami Gilles Talbot et de son épouse. Ils
sont accompagnés d’une autre personne. Quelques heures
après le décollage, l’avion éprouve des difficultés mécaniques dans le ciel de la Caroline du Sud et s’écrase au sol.
    Il n’y a aucun survivant.
    En plus de la douleur cruelle de perdre cette femme
qu’il aime, Fiori ressent une profonde culpabilité. Murielle
est morte à la suite d’un malentendu entre eux, et il n’a pas
su la rassurer sur ses sentiments ni lui expliquer que son
chemin le menait vers elle. Il pense en mourir   ; il se montre
de plus en plus instable, paranoïaque, anxieux et angoissé.
Monique Fauteux est la seule personne qui reste présente auprès de lui durant cette triste période. Elle se pointe
chez lui à