Serge Fiori : s'enlever du chemin
l’improviste et l’emmène manger. Elle s’installe
avec lui à la pâtisserie du coin et l’écoute sans dire un mot.
Plus tard, elle lui révélera que son discours d’alors était totalement incohérent. Quant à Georges, impuissant devant
la souffrance de son fils, il tente bien quelques rapprochements, mais il est trop désemparé pour parvenir à l’aider
réellement.
Marie-Claire
Deux messagers solitaires
Se sont retrouvés et se sont liés ensemble
Comme sortis de nos ventres
Ils ont la couleur des années
Gris comme la cendre
Blanc comme l’éternité
Lumière
de
vie
Serge Fiori habite maintenant sur la rue Querbes, à
Outremont. Son seul lien avec le monde extérieur et la réalité, c’est le couple Michel Lachance et Marie-Claire Sauvé,
auquel il rend souvent visite. Il éprouve un immense respect pour Michel, en qui il a pleinement confiance et qui
l’inspire musicalement. Ce dernier possède une chaîne
stéréophonique de grande qualité et le trio passe de longues soirées à écouter de la musique, la seule chose qui
tient encore Serge en vie et qui parvient à lui faire ressentir
quelques émotions. Il étire ses soirées en présence de ce
couple, jusqu’à ce qu’il soit si tard qu’il n’ait d’autre choix
que de rentrer. Angoissé et anxieux dès qu’il se retrouve
seul face à lui-même, il retourne se réfugier dès qu’il le
peut chez le couple qui possède aussi un laboratoire photo.
Dans le Maine, là où Marie et Michel louent une maison au
bord de la mer, Fiori s’adonne à la photographie ; pour un
temps, cette activité parvient à le distraire de ses préoccupations.
Lorsqu’il rend visite au couple, Serge se confie beaucoup
à Marie-Claire, ce petit bout de femme qui occupe peu de
place, mais qui sait si bien écouter les autres. Ensemble,
ils passent des heures à parler de la rupture de Fiori, de
spiritualité et de sujets qui les intéressent tous les deux.
Marie-Claire est, comme lui, une passionnée de musique :
elle a été élevée par un père qui adorait cet art. Fiori a souvent l’impression qu’ils se sont connus bien avant, tant les
choses lui semblent réelles et authentiques en compagnie
de cette femme. Serge se laisse bercer par le sentiment de
familiarité qui émane de cette relation qui se tisse doucement. Marie-Claire s’attache à Serge et le lui fait savoir. Elle
se trouve privilégiée d’occuper une place aussi importante
auprès d’un créateur musical de sa trempe. Elle tente de
lui exprimer la profondeur des sentiments qu’elle éprouve
à son endroit, mais Fiori prend peur. Il quitte précipitamment les lieux ; ses visites s’espacent et il se cloître de plus
en plus souvent dans son appartement. Il cesse de donner
des nouvelles, ne sort plus, ne reçoit plus.
Cet isolement dure des semaines, au cours desquelles
Marie-Claire s’étonne que personne de l’entourage de Serge n’ait de contact avec lui, ne sache où il en est. Surtout,
personne ne cherche à le voir. Cette indifférence à l’égard
de l’homme qu’elle admire, en dépit de ses faiblesses et de
sa fragilité, la déçoit et l’irrite au plus haut point. Elle est
convaincue que Serge va mal et son instinct lui commande
d’aller à sa rencontre sans tarder. Elle se présente donc un
soir à sa porte : comme il ne répond pas à ses appels répétés, elle force l’entrée et pénètre dans l’appartement.
Au cours des jours précédents, Serge a vu son état se
détériorer. Laissé seul à lui-même, il est sous-alimenté et
complètement déshydraté ; il délire et oscille toute la journée entre un sommeil peuplé de mauvais rêves et un état
de veille habité par l’angoisse. Il ne se réveille que quelques
minutes avant de replonger rapidement dans un profond
sommeil – il sombre peut-être même dans l’inconscience –
induit par la privation de nourriture et d’eau. La veille de la
visite de Marie, Serge a eu une vision. Non pas une vision
hallucinatoire, floue, affolante et menaçante, non. Il s’agit
d’une vision de calme et de paix qui l’a rasséréné un peu
et a étendu un baume sur sa souffrance. Fiori ne connaît
pas encore les pratiques de méditation de Marie-Claire, ni
ses gourous ou les livres qu’elle lit ; pourtant, ce soir-là, il
voit distinctement, au plafond de sa chambre, apparaître
une chaleureuse et réconfortante image : celle qui
Weitere Kostenlose Bücher