Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
résultats qui passent souvent par la torture et les exécutions sommaires. Et, à mon avis, ce n’est qu’un début.
— C’est une sale guerre. Je n’aime pas ça.
Le colonel de Cockborne s’était rembruni. Il savait que j’avais raison. Je compris qu’il ne resterait plus très longtemps en Algérie.
Assez vite, j’entrai en liaison avec le 2 e bureau de Constantine commandé par le colonel Decomps. On me demanda de recueillir des renseignements relatifs à la collusion entre le PCA 23 et le FLN. Ce dernier, en effet, avait des troupes organisées sous le nom d’ALN 24 mais elles manquaient d’armes. Leur première nécessité était d’en trouver. J’en eus la confirmation par la relation d’un de ces actes d’héroïsme que les historiens n’ont pas daigné retenir mais que l’Histoire n’oubliera pas.
Un jour, un groupe de rebelles investît une maison forestière dont le gardien était un caporal forestier du nom de Boughera Lakdar. Il avait un fusil. Lorsque le chef du groupe FLN lui demanda de le lui remettre, Boughera refusa :
— Mon fusil appartient à la France. Si tu le veux, viens le chercher ! cria-t-il.
Sur ces mots, le forestier ouvrit le feu, tuant le chef du groupe.
Boughera Lakdar fut pris et exécuté sur place. À ma connaissance, son nom n’est inscrit sur aucun monument.
Le récit d’un des témoins de cet épisode me parvint par mon réseau. Il témoigne assez clairement de l’attitude de nombreux musulmans qui étaient prêts à se sacrifier pour ce qu’ils croyaient être leur patrie.
Le commissaire Bourges m’avait expliqué que nos ennemis les plus acharnés étaient quatre nationalistes qui s’étaient évadés en 1952 de la prison de Bône et étaient devenus des cadres importants du FLN.
Parmi eux, figurait Zighoud Youssef, un ancien forgeron de Condé-Smendou 25 promu à trente-quatre ans chef du FLN pour le Nord-Constantinois après la mort de son prédécesseur, Didouche Mourad, dont le groupe venait d’être encerclé et neutralisé par les hommes du colonel Ducournau 26 .
Il y avait aussi un jeune homme de vingt-trois ans dont nous avions la photo. Il ressemblait à Alain Delon et s’appelait Gharsallah Messaoud. Comme il n’était pas très grand et à cause de son air juvénile, on l’appelait le petit Messaoud. Il avait été membre des scouts musulmans, ce qui ne l’avait pas empêché de devenir d’abord un chômeur professionnel, ensuite un voyou. Au début des événements, il partageait son temps entre les petits trafics minables et le proxénétisme. Mais il était ambitieux, vigoureux, impitoyable et représentatif. Le FLN lui avait permis, comme à beaucoup d’autres qui n’avaient rien à perdre, de conquérir un peu de gloire et, grâce à son mépris affiché pour la vie humaine, il s’était fait une réputation. Messaoud, à l’évidence, était courageux. Le jour où un affrontement se produirait, il ne faisait aucun doute qu’il nous donnerait du fil à retordre.
Le petit Messaoud avait entraîné dans son sillage un groupe de jeunes fanatiques.
Le terrain d’aviation de Philippeville était longé par une falaise qui surplombait la piste de quatre-vingts mètres. Le commissaire Bourges m’informa que c’était en haut de cette falaise que les hommes de Messaoud avaient installé un poste d’observation. Cette position était inexpugnable et un bombardement dans les rochers n’aurait servi à rien.
Jeannot di Meglio, un des inspecteurs de la PJ, avait appris qu’un de ses indicateurs avait été recruté par le groupe du petit Messaoud. C’était un petit trafiquant et receleur de pneus volés, la quarantaine, plutôt sympathique. Il confessa à Jeannot qu’il avait peur de devoir affronter un jour les parachutistes au combat. Il demandait à être fait prisonnier et espérait deux ans de prison pour se trouver à l’abri. Sollicité par Bourges, j’allai voir le juge Voglimacci qui refusa de l’arrêter sans motif : il n’avait pas rejoint volontairement le FLN et il n’avait participé à aucune opération armée ou terroriste. On ne pouvait rien faire. Alors nous nous sommes réunis, le truand, Jeannot di Meglio, Bourges et moi. Nous l’avons arrêté comme il le désirait, puis nous lui avons trouvé une place de chauffeur. Mais peu après il a perdu la tête et s’est mis à faire chanter ses anciens amis du FLN. À l’automne 1956, ils l’ont égorgé.
Je voyais donc beaucoup monde.
Weitere Kostenlose Bücher