Shogun
Toranaga était perdu dans ses pensées. Aucune
trace de colère n’était visible sur son visage. « Si tu voulais avoir
recours aux services de la secrète Amida Tong, comment feriez-vous pour la
contacter ? Comment f erriez-vous pour en approcher
ses membres ?
— Je ne sais pas, Sire.
— Qui pourrait le savoir ?
— Kasigi Yabu. »
Toranaga regarda par l’embrasure de la fenêtre. Les pâles
lueurs de l’aube se mêlaient à l’obscurité qui noyait l’est. « Faites-le
venir ici à l’aube.
— Vous croyez qu’il est
responsable ? »
Toranaga ne répondit pas, mais retourna à ses pensées.
Le vieux soldat ne put supporter ce silence. « Je vous
en prie, Sire, laissez-moi disparaître. J’ai si honte de mon échec…
— Il est pratiquement impossible de prévenir ce genre
de tentative.
— Nous aurions pu l’arrêter dehors, pas près de vous,
dans vos appartements.
— Je suis d’accord, mais je ne t’en tiens pas
responsable.
— Je m’en tiens responsable. Je dois vous dire quelque
chose, Sire, car je suis responsable de votre sécurité jusqu’à votre
retour à Yedo : il y aura d’autres tentatives contre vous ; tous nos
espions font état de mouvements de troupes. Ishido mobilise.
— Oui, dit Toranaga. Après Yabu, je veux voir
Tsukku-san, puis Mariko-san. Double la garde de l’Anjin-san.
— Des dépêches sont arrivées cette nuit. Sire Onoshi
ferait travailler cent mille hommes à l’amélioration de ses fortifications à
Kyushu, dit Hiro-matsu, inquiet pour la sécurité de Toranaga.
— Je le lui demanderai dès que nous nous
rencontrerons. »
La colère de Hiro-matsu éclata. « Je ne vous comprends
pas du tout. Je dois vous dire que vous risquez tout, stupidement. Oui,
stupidement. Je me fiche pas mal que vous me preniez ma tête pour avoir osé
vous dire ça. Mais c’est la vérité. Si Kiyama et Onoshi prennent le parti
d’Ishido, vous serez récusé ! Vous êtes un homme mort. Vous avez tout risqué
en venant ici et vous avez perdu. Sauvez-vous pendant qu’il en est encore
temps. Vous garderez au moins la tête sur les épaules !
— Je ne suis pas encore en danger.
— L’attaque de cette nuit ne signifie-t-elle rien pour
vous ? Si vous n’aviez pas encore changé de chambre, vous seriez un homme
mort en cet instant précis.
— Oui, ça se pourrait, mais je ne le crois pas. Il y
avait des tas de gardes devant mes portes, cette nuit et la nuit
dernière. Tu étais également de garde, cette nuit. Aucun assassin n’avait la
possibilité de m’approcher. Même ce tueur, si bien entraîné. Il connaissait le
chemin, même le mot de passe, neh ? Kiri-san dit qu’elle l’a
entendu s’en servir. Il savait donc dans quelle pièce j’étais. Je n’étais pas
sa proie. C’était l’Anjin-san qu’il visait.
— Le barbare ?
— Oui. »
Toranaga avait prévu tous les dangers qui planaient sur le
barbare après toutes ces révélations extraordinaires, faites le matin.
L’Anjin-san était trop dangereux pour certains. Ils ne pouvaient le laisser en
vie. Mais Toranaga n’avait pas un seul instant prévu qu’une attaque puisse être
montée dans ses appartements et si vite. Qui me trahit ? Il écarta toute
trahison de la part de Kiri ou de Mariko. Les châteaux et les jardins
renferment toujours des endroits secrets d’où espionner et écouter, pensa-t-il.
Je suis au centre de la forteresse de l’ennemi. Là où j’ai un espion, Ishido et
les autres en ont vingt. Ce n’était peut-être qu’un espion. « Double la
garde de l’Anjin-san. Il vaut bien dix mille hommes à mes yeux. »
Après le départ de dame Yodoko, ce matin-là, il était revenu
vers la maison de thé et avait tout de suite remarqué la fragilité intérieure
de l’Anjin-san, ses yeux brillants et sa fatigue. Il l’avait confié à Kiri,
avec instructions de lui trouver un médecin, de lui donner
de la nourriture barbare, si tel était son désir, et de lui offrir la chambre
où dormait habituellement Toranaga . « Donne-lui tout
ce qui te paraît nécessaire, Kiri-san avait-il dit en privé. J’ai besoin de lui
très rapidement. En forme et sain de corps et d’esprit. »
L’Anjin-san lui avait ensuite demandé qu’il fasse sortir le moine de prison aujourd’hui. L’homme était vieux et
malade. Il avait répondu qu’il allait envisager la question et avait congédié
le barbare avec ses remerciements, ne lui disant pas qu’il
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